1.4 : Les désaccords entre économistes et l’opposition « Macroéconomie » VS « microéconomie »
2. Les débats entre macroéconomistes
Cette conversion de la plupart des macroéconomistes à l’emploi d’outils microéconomiques n’a toutefois pas empêché les débats entre économistes [1]. De la même manière que deux personnes peuvent parler la même langue et ne pas être d’accord sur des questions de fond, il ne faut pas confondre des méthodes relativement « partagées » avec un consensus sur le fonctionnement de l’économie.
Comme évoqué dans la section précédente, les économistes utilisent souvent des modèles afin d’étudier les mécanismes économiques. Ceux-ci sont des « simplifications » du réel qui demandent à l’économiste de garder ce qu’il juge essentiel et de négliger le reste. Or, deux économistes peuvent avoir des croyances différentes quant aux aspects essentiels du fonctionnement de l’économie.
Par exemple, comme évoqué plus haut, Lucas pensait les marchés efficaces quand nombre de ses précurseurs et nombre d’économistes aujourd’hui encore les pensent défaillants [2]. Cette différence peut engendrer des recommandations de politiques publiques drastiquement différentes. Supposons que le marché des « produits » sur lequel se rencontrent offre et demande globales (et que nous utilisons ici pour représenter l’activité économique dans son ensemble) soit caractérisé par une offre verticale et une demande décroissante (cf. graphique 1). Si le prix sur ce marché s’ajuste librement, une politique publique qui « augmenterait la demande », conduirait simplement à une hausse des prix. Ceci peut être observé dans le graphique 1 où l’offre globale est représentée en vert, la demande initiale en rouge et la demande après une politique de relance budgétaire (augmentant la demande) en rouge pointillé. Comme on peut le voir, les deux équilibres sont caractérisés par une même quantité (ou activité économique), mais le niveau des prix a augmenté. La politique engendre donc de l’inflation (une hausse des prix) sans effet réel sur l’activité économique.
Graphique 1 : Une première conception du marché des produits
Une vision « plus keynésienne » de cette même situation considèrerait que les prix ne se fixent pas librement sur le marché mais sont à la fois rigides et trop élevés. Aussi, même s’il existe une offre globale potentiellement élevée, l’équilibre va se situer non pas à l’intersection entre offre et demande, mais être déterminé par le niveau de la demande : les prix étant trop élevés, les consommateurs ne souhaitent pas acheter énormément de biens et services et on ne peut pas les forcer à le faire.
Dans le graphique 2, la même offre et la même demande sont représentées mais en faisant maintenant l’hypothèse de prix rigides (arbitrairement) fixés à 20. Une fois encore, l’offre globale reste identique mais elle n’est plus que « potentielle » puisque des prix rigides et trop élevés impliquent que seule la demande va déterminer le niveau de l’activité économique (encore une fois, on ne peut forcer les consommateurs à acheter plus qu’ils ne le souhaitent). Dans le graphique 2, on peut également observer la demande initiale et une demande augmentée par une politique de relance budgétaire. Contrairement à la situation précédente, la relance budgétaire se traduira par une hausse de l’activité et non une hausse des prix.
De telles conceptions des marchés seront abordés bien plus en détails dans ce cours et dans vos prochains cours de macroéconomie. Toutefois, ce rapide exemple montre qu’un cadre très similaire (i.e. la même offre, la même demande et la même politique mise en place par l’Etat) peut conduire à des conclusions très différentes en fonction des hypothèses retenues par les économistes. Un marché efficace conduira à une inefficacité globale de la politique de relance par la demande quand un marché dysfonctionnel la rendra efficace.
En conclusion, depuis les années 1970-1980, microéconomie et macroéconomie ne s’opposent pas (ou peu) sur les méthodes employées même si les deux disciplines tendent à différer quant à l’échelle à laquelle elles étudient l’économie. Toutefois, l’emploi (relativement général) de micro-fondations en macroéconomie n’empêche pas les débats en son sein. On va généralement retrouver de nombreuses théories économiques différant quant à la place de l’Etat et à sa capacité à soutenir l'activité économique. Sans trop rentrer dans les détails, dans les chapitres suivants, nous allons introduire un peu plus ces différentes visions et leurs conséquences en matière de préconisation de politiques publiques. Notamment, nous verrons les différences entre les politiques « d’offre » ou de « demande » conseillées par certains macroéconomistes.
Graphique 2 : Une seconde conception du marché des produits
[1] Sur ces débats entre économistes, il faut aussi faire attention à leurs représentations médiatiques. Les médias peuvent accentuer l’impression de division entre économistes. En effet, (a) les points sur lesquels il y a consensus ne sont généralement pas abordés dans les médias et (b) les journaux peuvent avoir tendance à polariser les questions économiques en invitant des économistes aux avis tranchés quand la plupart se rejoignent en fait sur des positions « médianes ».
[2] Plus vraisemblablement, la plupart des économistes vont s’accorder sur le fait que les marchés ont une efficacité limitée, mais sans parvenir à un consensus sur le degré de défaillance ou sur la capacité d’autres acteurs à les corriger ou d’autres institutions à les remplacer.