3.6. La III° République (2) - La réponse de l'Etat à la résurgence de la Question Sociale
Réapparition de la question sociale et développement de la pensée socialiste
Au début des années 1880, le centre de gravité de la contestation sociale s’est déplacé des grandes villes vers les grands bassins ouvriers du Nord-Est de la France. La grève devient le moyen principal de cette contestation, mais ce sont des grèves spontanées, violentes et dures. A Anzin en 1884, 10 000 ouvriers font grève pendant 56 jours pour protester contre leurs conditions de travail.
Face à cette agitation, l’Etat décide de légaliser les syndicats professionnels par la loi Waldeck-Rousseau en 1884. Ainsi, il espère que les rapports entre capital et travail pourront se structurer et s’apaiser. Les syndicats, composés de représentants des ouvriers, prennent en charge les négociations avec les patrons et peuvent utiliser la grève comme moyen de pression.
Cependant, le patronat, plutôt que d’admettre la légitimité des syndicats, finance la Fédération des Jaunes, dont le rôle consiste à casser les grèves, notamment en fournissant des remplaçants pour les ouvriers en grève. Par ailleurs, les travailleurs indépendants, les artisans, les petits commerçants, se désolidarisent des ouvriers, alors que pendant tout le XIX° siècle leurs intérêts étaient confondus et qu’ils avaient souvent combattu ensemble, comme en 1848. Les indépendants, qui ne sont pas salariés contrairement aux ouvriers, adoptent le mot d’ordre « Ni bourgeois ni prolétaire ».
La lutte des classes va fortement s’intensifier jusqu’à la Première Guerre Mondiale. L’opposition entre la bourgeoisie, qui possède les moyens de production, et le prolétariat, qui ne possède que sa force de travail, devient radicale. On compte 580 000 jours de grève entre 1885 et 1889, et plus de 4 millions entre 1905 et 1909. De plus, se développe une véritable identité ouvrière, avec ses mythes et ses événements fondateurs, comme le drame de Fourmies. En 1891, dans ce petit centre textile du Nord de la France, la crise oblige à des baisses de salaire et à des périodes de chômage partiel. Les ouvriers se déclarent en grève (pacifique) le 1er mai, mais le patronat local fait appel à la troupe : 9 tués, plus de 50 blessés. Le drame de Fourmies devient le symbole de l’injustice qui touche la classe ouvrière, et de l’image du « patron assassin » véhiculé par les récits ouvriers. Progressivement, l’opposition entre patrons et ouvriers se durcit et se transforme en haine.
Cette haine va trouver à s’exprimer dans le mouvement anarchiste, particulièrement actif à la fin du XIX° siècle. Les anarchistes prônent « la propagande par le fait », c’est-à-dire dénoncer la misère ouvrière par l’action violente : des attentats ou des assassinats, comme celui du tsar de Russie Alexandre III en 1891, ou du président de la République Française Sadi Carnot en 1894. L’anarchiste le plus célèbre de l’époque fut sans conteste Ravachol.
Dans le même temps, le monde socialiste va se diviser : il y a d’un côté ceux qui restent fidèles à la pensée marxiste, comme Jules Guesde ou Paul Lafargue. Persuadés que le capitalisme va s’effondrer, leur conception « fataliste » de l’Histoire est intransigeante et ils ne veulent faire aucun compromis. De l’autre, ceux qui veulent s’appuyer sur l’Etat pour améliorer la condition ouvrière, comme Jean Jaurès ou Léon Bourgeois, et refusent l’attentisme pour travailler à une société plus juste par des réformes adéquates, en aménageant le système. Pour ces derniers, on parle de « socialisme de la chaire », car ils sont influencés par la pensée d’universitaires socialistes tels que Gustav von Schmoller, pour qui « chaque révolution pourrait être évitée par une réforme opportune ».
C’est ainsi que l’Etat va multiplier les lois sociales au tournant du XX° siècle. On assiste à la naissance de l’Etat-Providence.