5.5. Des trajectoires et stratégies contrastées de sortie de la pauvreté dans les pays en développement
Les Stratégies d’Industrialisation par substitution aux importations (ISI) : Afrique du nord et Amérique latine
Les stratégies d’ISI sont fondées sur la théorie « structuraliste » de la dépendance qui était très répandue en Amérique latine et dans les pays nouvellement indépendants dans les années 1950. Selon cette théorie, il existe un « responsable » voire un « coupable » externe du « sous-développement » qui est le haut niveau d’industrialisation des pays développés qui imposent un commerce international inégal ou injuste et une dépendance financière aux pays en retard d’industrialisation (Prebisch, 1949).
Dans ce cadre d’analyse en termes de centre-périphérie, le retard économique persistant des pays en développement s’expliquerait par le fait que les spécialisations dans les ressources naturelles (agriculture et mines) aient été imposées par les colons ou les puissances industrielles, et qu’elles conduisent à une mauvaise insertion dans la Division Internationale du Travail (DIT) car les prix des matières premières exportées par les pays en développement augmentent moins vite que ceux des produits manufacturés qu’ils importent des pays industriels. C’est ce qu’on appelle la détérioration des termes de l’échange qui conduit à une répartition inégalitaire des gains à l’échange. Les pays en développement doivent donc s’isoler du commerce international afin de s’industrialiser grâce à la demande leur marché intérieur au lieu d’importer ces produits de l’étranger. L’ISI cherche donc à modifier les structures internes de production grâce à une très forte protection des importations et répression des exportations au profit du marché domestique.
Historiquement, la stratégie apparaît en Amérique latine au moment où la grande crise des années 1930 diminue les débouchés pour les exportations de produits primaires latino-américaines aux E-U et en Europe. Alors que la demande intérieure se maintient du fait de l’existence d’une élite sociale foncière, les entrées de devises et la capacité d’importation de produits manufacturés chutent et la montée des prix domestique stimule la production intérieure en remplacement des importations.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’ISI est maintenue en Amérique latine et soutenue par l’influente CEPALC (la Commission Economique Pour l’Amérique Latine et les Caraïbes). De nombreux pays nouvellement indépendants au Maghreb (Algérie, Egypte), en Asie (Chine), en Afrique (Kenya, Côte d’Ivoire, et Nigéria) l’adoptent également pour des raisons idéologiques d’indépendance par rapport aux puissances hégémoniques. Ces pays adopteront généralement des modèles d’économie mixte de type capitaliste planifié où (i) les investissements sont majoritairement privés, mais où (ii) l’Etat oriente les investissements à travers une politique commerciale protectionniste. Des formes très étatisées de cette stratégie existeront dans certains pays, comme l’Algérie, où l’état socialiste cherche à planifier une industrialisation à partir des industries de matières premières (pétrole et gaz entre autres), souvent avec le soutien de l’URSS dans un contexte postcolonial de guerre froide.
L’ISI s’appuie généralement sur un processus de remontée de filière de production. Il s’agit de commencer par produire des biens de consommation simples (intenses en main-d’œuvre), puis des biens de consommation durables qui créent un marché pour des biens intermédiaires qui ouvrent in fine celui pour les biens d’équipement. La première étape est aisée à franchir car elle nécessite peu de protection et autorise le passage rapide à l’exportation du surplus comme le montrent l’Amérique latine, le Pakistan ou l’Inde dans les années 1950-1960. En 1964, le Brésil produisait 90% des biens industriels consommés dans le pays. En revanche, franchir les étapes suivantes est difficile car la diversification vers des biens plus complexes en amont de la filière (biens durables et d’équipement) nécessite de pouvoir importer des biens intermédiaires et les machines très couteux que le pays produit encore mal aux premiers stades de développement.
Par ailleurs, les biens manufacturés produits par le pays sont peu exportables dans un premier temps car peu compétitifs à cause de la protection du marché national. La balance commerciale est alors déséquilibrée, l’endettement devient nécessaire et la dépendance technique s’associe à une dépendance financière. Face à ces difficultés jointes de financement et d’accès aux biens intermédiaire et d’équipement, les pays pratiquant l’ISI cherchent dès les années 1970 à favoriser les investissements des firmes multinationales (souvent des pays industriels) qui sont attirées par les perspectives de profit sur les marchés domestiques protégés. Cependant, ces investissements finissent souvent par évincer les firmes locales, nourrissent la corruption des élites locales et pratiquent largement l’évasion fiscale. Ce modèle du « capitalisme dépendant » se met alors en place en Amérique latine et reste encore fort aujourd’hui.