6.3. La persistance de modèles de capitalismes diversifiés dans une économie globalisée
Pourquoi ne sommes-nous pas tous scandinaves ?
L'interdépendance des capitalismes américains et scandinaves
Acemoglu, Robinson et Verdier (2012) poussent plus loin cette logique en
considérant que les deux capitalismes américain et scandinave
constituent deux voies complémentaires et interdépendantes de croissance
soutenue grâce aux échanges internationaux, l’une fondée sur
l’innovation, la flexibilité et les inégalités (cut-throat), l’autre sur
la cohésion sociale (cuddly). Ils soutiennent que ces deux capitalismes
polaires ne peuvent se passer l’un de l’autre et sont en fait
complémentaires dans un monde de plus en plus interdépendant. Les
premiers pays sont spécialisés dans l’innovation radicale car le
différentiel de revenu associé aux innovations gagnantes y est supérieur
à ce qu’il est pour les seconds pays, qui puisqu’ils sont plus éloignés
de la frontière technologique, ont déployé des arrangements plus
redistributifs et gérant le risque et la réussite de façon plus
solidaire. Une convergence des premiers (cut-throat) vers les seconds
(cuddly) ferait disparaître les externalités technologiques, diminuerait
la croissance mondiale et l’écart économique et technologique, et
diminuerait les incitations à adopter des institutions plus protectrices
pour les seconds. le capitalisme mondialisé et financiarisé a donc
besoin de la complémentarité entre les différents modèles.
La
hiérarchie institutionnelle explique également la relative stabilité
des modèles de capitalisme. Chaque modèle peut ainsi être défini par les
arbitrages collectifs entre discipline fiscale, niveau d’inégalités
acceptable et niveau de chômage acceptable et que les institutions
correspondant aux arbitrages supérieurs sont les plus stables, les
autres institutions devant s’adapter à celles-ci. Le choix du système
dépend des préférences collectives, de l’histoire et des choix passés et
du contexte international. Les préférences sociales définissent des
hiérarchies institutionnelles, c’est-à-dire des objectifs prioritaires
pour les groupes sociaux dominants, comme l’illustre bien le trilemne de
Wren et Iversen (1998).
Figure
6.3.1. Le trilemne des hiérarchies institutionnelles dans les
différents modèles de capitalisme (Source: Wren and Iversen, 1998)