5.1 : Les inégalités - pourquoi s'en soucier ?
Site: | ZERUN |
Cours: | Macroéconomie 1 |
Livre: | 5.1 : Les inégalités - pourquoi s'en soucier ? |
Imprimé par: | Visiteur anonyme |
Date: | dimanche 24 novembre 2024, 03:20 |
1. Introduction
Les chapitres précédents abordaient des questions centrales, mais très générales en macroéconomie. Dans ce chapitre, nous allons discuter d’un sujet (plus) appliqué mais également d’une importance cruciale pour les économistes : les inégalités. Dans un premier temps, nous allons expliquer pourquoi les inégalités de revenus et/ou de richesses méritent d’être étudiées et peuvent avoir une importance d’un point de vue macroéconomique, nous allons ensuite aborder la mesure des inégalités. Ensuite, nous discuterons de l’égalité entre épargne et investissement et essaierons de comprendre ses implications en terme de politiques publiques et d’inégalités. Finalement, nous reviendrons sur des éléments de Comptabilité Nationale afin de voir où les opérations de redistribution peuvent être observées.
2. Inégalités : doit-on s’en préoccuper ?
Nous avons déjà discuté de la notion de bien-être. L’objectif des politiques économiques ne devraient pas être de maximiser le PIB ou un autre critère macroéconomique mais de chercher à accroitre le bien-être de la population.
La question est alors de savoir si les inégalités nuisent au bien-être ? Dans l’absolu, chacun doit se forger son opinion sur cette question ; c’est aux citoyens et non aux économistes de trancher la question. Toutefois, on peut faire deux observations qui peuvent justifier de s’intéresser à cette thématique des inégalités. Ici, nous allons suivre Anthony Atkinson (né en 1944, économiste spécialiste des inégalités) dans l’introduction de son livre Inégalités (2016).
- Il existe des raisons instrumentales de se soucier des inégalités car celles-ci semblent engendrer des faits indésirables : criminalité, baisse de la cohésion sociale, des problèmes de santé, etc. On se préoccupe donc des inégalités du fait de leurs conséquences.
- Il existe des raisons intrinsèques de se soucier des inégalités. Ces raisons sont liées au type de société dans lesquelles nous souhaitons vivre. Les conceptions de ce qu’est une « société juste » sont nombreuses et peuvent s’opposer entre elles, mais elles questionnent toutes la notion d’inégalités. Certaines inégalités peuvent être justes et légitimes, d’autres injustes et illégitimes. [1] Ici, on se préoccupe donc des inégalités pour elles-mêmes.
[1] Ce qu’est une « société juste » est le point central des théories de la justice en philosophie. De grands auteurs comme Bentham, Rawls, Nozick, Dworkin et Roemer ont contribué aux théories de la justice. Malheureusement, les aborder exigerait un cours entier et nous n’entrerons pas dans les détails de ces théories.
3. Inégalités et croissance économique
On peut également se demander si
les inégalités influent sur la performance des économies. Il s’agit donc
là d’une raison instrumentale (et macroéconomique) de s’intéresser à cette question. Il s’agit en fait d’une vieille
question en économie mais qui semble recevoir une attention nouvelle ces
dernières années.
Il semblerait que des voix de plus en plus nombreuses soulignent l'impact négatif des inégalités sur la croissance. Cela peut être observé dans les déclarations de dirigeants d’institutions internationales comme le FMI dont l’ancienne directrice (Christine Lagarde) appelle à ce que « les bienfaits économiques de la mondialisation soient partagés par tous et non plus seulement par quelques-uns » [1], dans les publications de ces mêmes institutions [2] qui suggèrent que les inégalités nuisent à la croissance ou dans les prises de position publique de certains économistes comme Paul Krugman.
Malgré ces appels, une des difficultés pour trancher la question du lien entre inégalités et croissance est qu’il existe de nombreux mécanismes possibles pouvant justifier d’un impact positif ou négatif des inégalités des premières sur la seconde. Par exemple, sans inégalités (de salaires, de richesses), les individus pourraient manquer d’incitations à faire des efforts, à investir, à monter des entreprises, etc. Réduire (trop) les inégalités conduirait alors à brider l’économie et donc la croissance. A l’inverse, trop d’inégalités pourrait engendrer des troubles sociaux ou politiques qui nuiraient eux-aussi à la croissance. De même, des inégalités trop fortes pourraient conduire à long terme à une perte de capital humain diminuant ainsi la performance des économies. En effet, les familles trop pauvres n’auraient plus la possibilité ou l’envie (s’ils pensent que cela ne sert à rien car seul les « riches » capturent les bénéfices de l’activité économique) d’investir dans l’éducation de leurs enfants.
A court terme, des actions pouvant creuser ou amoindrir les inégalités (favoriser les épargnants, redistribuer les revenus) peuvent aussi largement impacter des variables comme l’investissement ou la consommation. Nous allons rediscuter plus en détails de ces points.
Encore une fois, à cause des multiples mécanismes qui lient inégalités et croissance, le débat sur ces liens ne sera jamais définitivement tranché. Le débat doit donc être empirique (basé sur des faits). Ceci étant dit, la recherche récente suggère effectivement un lien négatif entre inégalités et performance économique. Ainsi, un article de Md. Rabiul Islam et Mark McGillivray paru récemment dans Economic Modelling (une revue scientifique spécialisée en macroéconomie) suggère que les inégalités de richesse sont négativement corrélées avec la croissance. [3][1]
Cette citation peut par exemple être trouvée dans l’article suivant :
Lagarde (FMI) prône une mondialisation plus juste, Le Figaro, 05/12/2018.
https://www.novethic.fr/actualite/social/droits-humains/isr-rse/face-aux-inegalites-croissantes-christine-lagarde-fmi-craint-l-avenement-d-un-age-de-la-colere-146665.html
[2]
Inégalités et Croissance, Focus de
l’OCDE, Décembre 2014.
https://www.oecd.org/fr/els/soc/Focus-Inegalites-et-croissance-2014.pdf
[3] Md. Rabiul Islam et Mark McGillivray, Wealth, Governance and Economic Growth, Economic Modelling, 2020, Vol. 88 (June), page 1-13.
4. Une demande des étudiants
Un dernier argument justifie de s’intéresser aux inégalités dans les cours de (macro)économie. Les inégalités seraient un des thèmes (voire le thème) que les étudiants en économie souhaiteraient étudier et approfondir. C’est en effet un des résultats d’une étude publiée par Samuel Bowles et Wendy Carlin (2020). [1] Par exemple, lorsqu’ils ont demandé à 4,442 étudiants de 25 universités dans 12 pays différents quel était le problème le plus urgent auquel les économistes devaient s’attaquer, les inégalités semblaient être la thématique la plus soulevée. Le nuage de mots suivant résume leurs résultats (plus un mot apparait en gras, plus il était cité dans les réponses des étudiants).
Quel problème les
économistes devraient considérer comme prioritaire ?
Graphique tiré de : Samuel Bowles et Wendy Carlin, What Student Learn in Economics 101: Time for a Change, Journal of Economic Litterature, 2020, 58(1), 176–21.
Aussi, si cette thématique a une importance en économie, en macroéconomie et intéresse les étudiants, il convient à minima d’en discuter.
[1] Samuel Bowles et Wendy Carlin, What Student Learn in Economics 101: Time for a Change, Journal of Economic Literature, 2020, 58(1), 176–21.
5. L'essentiel - vidéo
https://mediapod.u-bordeaux.fr/video/8502-macro-pas-1-chap-5-cap-1/