3.1. La Révolution Française : "égalité en liberté" et libéralisme optimiste

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Cours: Histoire des faits économiques
Livre: 3.1. La Révolution Française : "égalité en liberté" et libéralisme optimiste
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Date: dimanche 24 novembre 2024, 03:08

Introduction

L’organisation sociale avant la Révolution Française est appelée l’Ancien Régime. C’est une société composée de 3 ordres : la Noblesse, classe militaire, qui apporte sécurité et protection ; le Clergé, classe religieuse et intellectuelle, qui donne une direction spirituelle à la communauté et l’éduque ; le Tiers-État, la classe laborieuse, composée de paysans, artisans et commerçants.

C’est une société pré-Etatique, au sens où l’État est encore faible, et les pouvoirs régaliens (comme la justice, la police, les services collectifs) s’exercent de façon locale et indépendante, sur un petit territoire.

L’inégalité est très forte dans cette société : Clergé et Noblesse représentent 1,5% de la population, mais détiennent 45% des terres. Ils disposent en outre de privilèges : ils prélèvent certains impôts et sont exemptés d’autres, ils disposent de l’accès exclusif à certaines professions, et sont même jugés par des tribunaux spéciaux. Un Noble ne pouvait pas perdre un procès contre un roturier, par principe ; quant aux ecclésiastiques, ils disposent d’un droit spécial, différent du droit civil, appelé le droit canon.

La Révolution Française : l’égalité de condition dans le domaine politique

Le Clergé et la Noblesse se considèrent comme une "humanité à part" (Tocqueville), dont la supériorité est transmise de génération en génération. Mais à partir XVIII° siècle, les philosophes des Lumières remettent en cause ces privilèges : Jean-Jacques Rousseau, notamment, soutient que les hommes sont naturellement semblables et égaux à la naissance. C’est une égalité de condition : les hommes sont égaux devant la loi, c’est-à-dire que la loi est la même pour tous. Rabaut de Saint-Etienne l’appelle « égalité en liberté » car pour être égaux, les hommes doivent disposer de la même liberté.

La Révolution Française va appliquer ces idées. Le 4 août 1789, les privilèges des Nobles et du Clergé sont abolis. L’Eglise est expropriée, et ses possessions foncières deviennent biens de l’Etat, sous le nom de « Biens Nationaux ». Ils sont ensuite revendus : pas moins de 10% des terres cultivables changent de main en quelques années, et font de la France, pendant encore deux siècles, un pays de petits propriétaires terriens.

Dans le domaine économique, cette aspiration à l’égalité va se traduire par l’affirmation claire et forte de la liberté économique : liberté d’entreprendre, liberté de travailler, liberté de commercer. Ici aussi, chacun est égal si chacun est libre.

C’est ainsi que seront abolis les monopoles d’Etat, considérés comme une entrave à la liberté d’entreprendre. Dans le domaine du travail, les relations de travail sous l’Ancien Régime étaient encadrées par les corporations. Ce sont des associations basées sur le métier, avec des règles strictes : le Maître transmet son savoir-faire à l’Apprenti, qui lui doit obéissance. Les corporations contrôlent les règles du métier, le niveau des salaires, et accrédite les travailleurs. Le métier était à l’époque « une propriété collective qui offrait à la fois un emploi et un statut à ceux qui en étaient membres » (G. Noiriel).

Le trop grand pouvoir des Corporations sur les relations de travail est considéré comme une entrave à la liberté de travailler. La loi Le Chapelier les supprime en 1791. De façon générale, à la Révolution on pensait qu’il n’y avait pas besoin de corps intermédiaire entre l’individu, garant de son intérêt particulier, et l’Etat, garant de l’intérêt général.


Promotion du marché et inégalités économiques « naturelles »

La liberté économique s’accompagne naturellement de la promotion du marché comme mode de coordination des actions économiques. C’est la vision d’Adam Smith : l’échange sur le marché est libre (personne n’est contraint d’acheter ou de vendre), et efficace  (chacune des deux parties a intérêt à l’échange, et dans le cas contraire chacun est libre de ne pas échanger). L’échange sur le marché est un rapport de réciprocité entre égaux.

Cependant, déjà à l’époque, on considère que le marché ne doit pas être laissé à lui-même, car il risque d’amplifier les inégalités sociales. Il doit donc être encadré. Les économistes de l’époque rejettent un encadrement par la loi ou par les institutions, et proposent un encadrement par la morale : Adam Smith fait l’apologie de la frugalité ; Jean-Baptiste Say défend la sobriété dans ses premiers écrits ; Condorcet en appelle à la « simplicité des mœurs ».

La Révolution Française apporte aux citoyens l’égalité politique : un homme, une voix. Chacun a le même poids politique que son voisin, même si son statut social est différent. En revanche, l’égalité économique n’est pas un sujet à l’époque. Ce qui compte, c’est l’égalité devant la loi (l’égalité de condition). Les différences de revenu ou de patrimoine sont secondaires : il n’y a pas égalité de situation.

En effet, les inégalités de richesse sont vues comme naturelles, car les hommes sont naturellement inégaux en intelligence, en force, en talent. Les inégalités économiques ne sont alors que le reflet de ces inégalités naturelles. Ce qui compte, c’est que chacun ait les mêmes chances de départ : l’égalité devant la loi permet à chacun d’accéder à la position sociale qu’il mérite, en fonction de ses talents et de ses aptitudes. Cette façon de penser est très moderne.

Ces inégalités économiques, dont personne ne se préoccupe à la fin du XVIII° siècle, vont considérablement se creuser au XIX° siècle avec la Révolution industrielle, et devenir un sujet central au cours du XIX° siècle, avec l’émergence de la « question sociale ».