3.6. La III° République (2) - La réponse de l'Etat à la résurgence de la Question Sociale
Site: | ZERUN |
Cours: | Histoire des faits économiques |
Livre: | 3.6. La III° République (2) - La réponse de l'Etat à la résurgence de la Question Sociale |
Imprimé par: | Visiteur anonyme |
Date: | dimanche 24 novembre 2024, 00:10 |
Introduction
La question sociale
réapparaît dans le débat public au début des années 1880 avec la crise
économique. Cette fois-ci, l’Etat va réagir de façon plutôt conciliante, en
promulgant des lois en faveur du monde ouvrier. La période 1880-1913 marque à
la fois les débuts de la législation sur le travail et les débuts de la
Protection Sociale, autant que le durcissement des relations entre les classes
sociales. Elle annonce à la fois le paroxysme de la lutte, entre les deux
guerres, et la réconciliation de la deuxième moitié du XX° siècle.
Réapparition de la question sociale et développement de la pensée socialiste
Au début des années 1880, le centre de gravité de la contestation sociale s’est déplacé des grandes villes vers les grands bassins ouvriers du Nord-Est de la France. La grève devient le moyen principal de cette contestation, mais ce sont des grèves spontanées, violentes et dures. A Anzin en 1884, 10 000 ouvriers font grève pendant 56 jours pour protester contre leurs conditions de travail.
Face à cette agitation, l’Etat décide de légaliser les syndicats professionnels par la loi Waldeck-Rousseau en 1884. Ainsi, il espère que les rapports entre capital et travail pourront se structurer et s’apaiser. Les syndicats, composés de représentants des ouvriers, prennent en charge les négociations avec les patrons et peuvent utiliser la grève comme moyen de pression.
Cependant, le patronat, plutôt que d’admettre la légitimité des syndicats, finance la Fédération des Jaunes, dont le rôle consiste à casser les grèves, notamment en fournissant des remplaçants pour les ouvriers en grève. Par ailleurs, les travailleurs indépendants, les artisans, les petits commerçants, se désolidarisent des ouvriers, alors que pendant tout le XIX° siècle leurs intérêts étaient confondus et qu’ils avaient souvent combattu ensemble, comme en 1848. Les indépendants, qui ne sont pas salariés contrairement aux ouvriers, adoptent le mot d’ordre « Ni bourgeois ni prolétaire ».
La lutte des classes va fortement s’intensifier jusqu’à la Première Guerre Mondiale. L’opposition entre la bourgeoisie, qui possède les moyens de production, et le prolétariat, qui ne possède que sa force de travail, devient radicale. On compte 580 000 jours de grève entre 1885 et 1889, et plus de 4 millions entre 1905 et 1909. De plus, se développe une véritable identité ouvrière, avec ses mythes et ses événements fondateurs, comme le drame de Fourmies. En 1891, dans ce petit centre textile du Nord de la France, la crise oblige à des baisses de salaire et à des périodes de chômage partiel. Les ouvriers se déclarent en grève (pacifique) le 1er mai, mais le patronat local fait appel à la troupe : 9 tués, plus de 50 blessés. Le drame de Fourmies devient le symbole de l’injustice qui touche la classe ouvrière, et de l’image du « patron assassin » véhiculé par les récits ouvriers. Progressivement, l’opposition entre patrons et ouvriers se durcit et se transforme en haine.
Cette haine va trouver à s’exprimer dans le mouvement anarchiste, particulièrement actif à la fin du XIX° siècle. Les anarchistes prônent « la propagande par le fait », c’est-à-dire dénoncer la misère ouvrière par l’action violente : des attentats ou des assassinats, comme celui du tsar de Russie Alexandre III en 1891, ou du président de la République Française Sadi Carnot en 1894. L’anarchiste le plus célèbre de l’époque fut sans conteste Ravachol.
Dans le même temps, le monde socialiste va se diviser : il y a d’un côté ceux qui restent fidèles à la pensée marxiste, comme Jules Guesde ou Paul Lafargue. Persuadés que le capitalisme va s’effondrer, leur conception « fataliste » de l’Histoire est intransigeante et ils ne veulent faire aucun compromis. De l’autre, ceux qui veulent s’appuyer sur l’Etat pour améliorer la condition ouvrière, comme Jean Jaurès ou Léon Bourgeois, et refusent l’attentisme pour travailler à une société plus juste par des réformes adéquates, en aménageant le système. Pour ces derniers, on parle de « socialisme de la chaire », car ils sont influencés par la pensée d’universitaires socialistes tels que Gustav von Schmoller, pour qui « chaque révolution pourrait être évitée par une réforme opportune ».
C’est ainsi que l’Etat va multiplier les lois sociales au tournant du XX° siècle. On assiste à la naissance de l’Etat-Providence.
La naissance de l’Etat-Providence au tournant du XX° siècle
L’Etat se met à redistribuer les richesses selon 3 axes : la constitution d’une législation sur le travail ; les débuts de la Protection Sociale ; la mise en place de l’impôt progressif sur le revenu.
Premier axe : la constitution d’une législation sur le travail. La loi Waldeck-Rousseau sur les syndicats en 1884, la loi sur le règlement des conflits entre patrons et ouvriers en 1892, et surtout la loi sur les accidents du travail en 1898, qui change complètement d’optique, et abandonne la notion de responsabilité pour adopter la notion de risque : quel que soit le responsable, l’ouvrier blessé sera de toutes façons indemnisé. Le premier Ministère du Travail est créé en 1906, et le Code du Travail, en 1910, permet de redéfinir les relations professionnelles comme une coopération à égalité entre ceux qui contribuent à la réalisation d’un produit.
Deuxième axe : les débuts – timides - de la Protection Sociale, avec l’assistance médicale gratuite pour les pauvres, en 1893, la loi sur les retraites ouvrières et paysannes, en 1910, ou encore la loi Siegried, sur les logements sociaux, en 1893. Les progrès sont certes plus symboliques que vraiment utiles pour résorber le misère des prolétaires.
Enfin, troisième axe et non des moindres, l’instauration de l’impôt progressif sur le revenu, un fait majeur en termes de redistribution de richesses par l’Etat, sur lequel il est intéressant de s’arrêter.
Au XIX° siècle, l’impôt est envisagé très différemment d’aujourd’hui. Il est vu comme un impôt-assurance. Payer l’impôt donne à l’Etat les moyens de protéger les biens des possédants ; ainsi, pour Emile de Girardin, l’impôt est « la prime d’assurance payée par ceux qui possèdent, pour s’assurer contre tous les risques de nature à les troubler dans leur possession ou leur jouissance » (L’impôt, 1852). Le juste prélèvement est donc proportionnel aux services publics que l’on utilise. Cependant, le début du XX° siècle voit l’apparition quasi-simultanée, dans les pays avancés, d’un impôt progressif sur le revenu, c’est-à-dire un impôt où les plus riches payent davantage en proportion de leur revenu que les plus pauvres[1]. Un impôt dont l’objectif affiché est de redistribuer les richesses.
L’instauration de ces impôts progressifs est très lente, car elle soulève des débats passionnés et violents. Selon Adolphe Thiers, « l’impôt progressif, c’est le socialisme ». En France, il faudra trente ans de débat et l’imminence d’une guerre pour l’adopter, un peu à la va-vite, en 1914. Si les taux de prélèvement sont très faibles au départ, ils vont rapidement devenir importants dans les années 1920, pour éponger les énormes dépenses de guerre.
L’apogée de la contestation sociale en France se situe en 1906, avec la catastrophe de Courrières. Plus de 1 000 mineurs périssent dans une mine d’un coup de grisou. Les autres se mettent en grève pour protester contre les conditions de travail. Le gouvernement fait appel à la troupe, mais cela ne fait qu’empirer la contestation. Peu après, le 1er mai, c’est la première grève générale de l’Histoire de France ; on n’a jamais été aussi prêt du Grand Soir. D’ailleurs, la CGT (Confédération Générale du Travail, principal syndicat ouvrier à l’époque) adopte en octobre 1906 la « Charte d’Amiens », qui prône la lutte des classes, l’expropriation des capitalistes et la grève générale comme moyen d’action. Mais la Révolution n’aura finalement pas lieu, et 8 ans plus tard éclate la Première Guerre Mondiale, qui fera passer la question sociale au second plan.