4.3 La crise de la mondialisation
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Cours: | Histoire des faits économiques |
Livre: | 4.3 La crise de la mondialisation |
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Date: | dimanche 24 novembre 2024, 00:14 |
Introduction
En raison notamment de l’intensité des relations financières et commerciales internationales et du poids de l’économie américaine (à l’époque la production industrielle américaine représente près de 45% de la production industrielle mondiale et ses importations 12,5% du total des importations mondiales) la crise économique s’étend à l’ensemble des économies capitalistes.
Le rôle des mouvements internationaux de capitaux
A la fin des années
1920 les Etats-Unis sont le premier préteur mondial de capitaux. A la suite de
la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis et du boom boursier de 1928-29 le
montant des émissions de valeurs étrangères aux Etats-Unis recule de 1 336 milliards
de dollars en 1927, à 1250 milliards de dollars en 1928 et 790 en 1929. Après
le retournement d’octobre 1929, les banques américaines rapatrient massivement
leurs capitaux déposés à l’étranger afin de pallier leurs difficultés internes.
Les pays débiteurs (Allemagne, Australie, Argentine, Pologne…) qui dépendent
des capitaux américains pour le financement de leur déficit courant subissent
des contrecoups. Ce désengagement accentue notamment les tensions financières
en Allemagne (principal débiteurs des Etats-Unis) où la situation des banques
commerciales se détériore. Le 14 mai 1931, la plus grande banque autrichienne,
la Kredit Anstalt de Vienne est en situation de cessation de paiements. Cette
crise bancaire contribue à accentuer les difficultés du système bancaire
allemand : une panique bancaire contraint l’état à intervenir durant l’été
1931.
Le durcissement des politiques commerciales
L’effondrement de l’activité économique fait surgir aux Etats-Unis la tentation d’un repli sur le marché national. Un débat s’engage sur la pertinence d’un durcissement de la politique commerciale. Les responsables politiques voient dans la hausse des tarifs douaniers un moyen d’augmenter les prix intérieurs et de réorienter la demande vers les produits nationaux. Une pétition signée par 1 028 économistes (dont I. Fisher) met en garde contre les dangers de la solution protectionniste et notamment le risque de représailles commerciales généralisées.
En juin 1930, le tarif Smoot Hawley est instauré par les Etats-Unis et marque un tournant vers un durcissement sans précédent du protectionniste au niveau mondial. Aux Etats-Unis les droits de douanes sont accrus sur 25 000 produits et le tarif moyen sur les importations protégées passe de 39% à 53%. A la faveur des mesures de rétorsion, l’arsenal protectionniste s’enrichie. Aux traditionnels droits de douane portés à des niveaux record, s’ajoutent des dépréciations monétaires cette fois volontaires (la livre sterling dès 1931…), des taxes, des quotas, l’instauration de normes sanitaires et autres roueries administratives. Les économies se replient sur elles-mêmes : pour les Etats-Unis le rapport exportations sur PIB à prix courants passe de 5% en 1929 à 3,7% en 1938 et pour l’Europe Occidentale il passe de 14,5% à seulement 7,1%. Ce recul du commerce international constitue un facteur supplémentaire de freinage de l’activité économique.
La question de faire du change un outil de compétitivité apparait, elle, dès les années 1920 lorsque certains pays (France, Belgique…) sont amenés à choisir le niveau de la stabilisation-dévaluation de leur monnaie. La stabilisation Poincaré maintient ainsi une légère sous-évaluation réelle du franc afin de préserver les intérêts des exportateurs, habitués à bénéficier de cet avantage durant les épisodes inflationnistes incontrôlés de 1922 à 1926.Dans le contexte de crise financière et de déflation du début des années 1930 une bataille monétaire de grande ampleur affecte l’économie mondiale. Elle implique les trois blocs monétaires de l’époque et elle entraine la dislocation du système de l’étalon devises-or hérité de la conférence de Gênes en 1922.
La guerre des blocs monétaires durant les années 1930
Pour répondre à la baisse de l’activité économique qui menace sa stabilité sociale, la Grande-Bretagne décide le 21 septembre 1931 de détacher sa monnaie de l’or sans attendre l’épuisement complet de ses réserves de change. Sur le marché en trois mois la livre perd un tiers de sa valeur face à l’autre monnaie internationale, le dollar. La livre est à l’époque une monnaie d’ancrage pour plusieurs économies qui se trouvent confrontés à un choix crucial. Soit elles restent attachées à la livre sterling et l’accompagne dans sa dépréciation, soit elles subissent une revalorisation vis-à-vis d’elle. Les économies les plus imbriquées avec la Grande-Bretagne (Australie, Nouvelle-Zélande, Suède, Portugal…) restent liées afin de préserver leur compétitivité-prix. Entre septembre et décembre 1931 la France, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse exigent la conversion en or d’une partie de leurs avoirs en dollar pour ne pas subir de nouvelle perte en cas de dévaluation du dollar dont la position est fragilisée puisqu’il apparait, de fait, comme étant « moins bon que l’or ». Toujours en 1931 le Japon quitte l’étalon-or ajoutant à l’instabilité. Les pays qui ne dévaluent pas sont victimes d’une réduction de leur compétitivité prix. La question de conduire une dévaluation compétitive et de mettre en œuvre une stratégie d’exportation du chômage (Beggar-Thy-Neggar) est, pour eux, posée. La convertibilité du dollar est suspendue en avril 1933. Il est officiellement dévalué de 41% le 31 janvier 1934, sa définition passe de 20,67 dollars l’once à 35. Les pays du Bloc-or (zone monétaire sous influence française) Belgique, Pays-Bas, Suisse, Italie… sont les perdants de cette séquence, ils subissent une appréciation réelle de leur monnaie qui les contraint à conduire des politiques déflationnistes encore plus dures et, en définitive, insoutenables. La Belgique dévalue en 1935, la France attend 1936.
Le trilemme de Rodrik
Le trilemme mis en exergue par l’économiste Dany Rodrik illustre bien les termes des rapports entre actions des gouvernements, aspirations des populations et intensité de la mondialisation. Il rappelle en creux que l’hyper-mondialisation n’est pas historiquement un état permanent. Selon le trilemme politique de l’économie mondiale il est impossible d’avoir simultanément :- une intégration économique poussée, une hyper-mondialisation (libéralisation des échanges commerciaux, intégration financière…
- des états nations souverains (frontières, monnaie, impôts)
- la démocratie politique.
L’intégration économique impose une compétition entre les États qui limite leur capacité à adopter les politiques interventionnistes, protectrices que souhaitent les populations. Le gouvernement peut alors soit choisir d’ignorer la volonté des habitants, et préserver au passage sa liberté de choix ; soit décider d’abandonner sa souveraineté et de transférer les aspirations démocratiques à des instances supranationales.
Avant la Grande Guerre une première mondialisation est à l’œuvre qui elle-même parait difficilement réversible pour les contemporains. Au dix-neuvième siècle le commerce mondial a en effet connu une formidable expansion, son volume est environ multiplié par 20 entre 1815 et 1913. Cet essor a pour origine directe la Révolution Industrielle, qui confère un quasi-monopole pour les exportations manufacturières à quelques pays (l’Angleterre d’abord puis quelques autres pays d’Europe continentale dont la France et l’Allemagne). Une véritable division mondiale du travail s’instaure : les produits industriels des pays avancés sont échangés contre les denrées alimentaires et les matières premières des « pays neufs » et des économes coloniales. L’expansion du trafic commercial est soutenue par des innovations (en manière de conservation des denrées par exemple avec l’installation de systèmes réfrigérants sur les bateaux dans les années 1870) et surtout une baisse de long terme des coûts de transport, qui s’accélère au milieu du XIXè siècle avec la révolution des transports.
L'intensification de la mobilité internationale des capitaux
Après le dépôt du brevet du télégraphe en 1844 par S. Morse, la première ligne télégraphique transmanche est posée dès 1851 et le premier câble transatlantique en 1865. En 1913, la longueur des réseaux télégraphiques représente onze fois le tour de la terre, et le téléphone est déjà en plein essor : un pas décisif vers la transmission instantanée de l’information a été franchi, il ouvre notamment la voie à une intensification de la mobilité internationale des capitaux. En fin de période (1880-1913) les indicateurs de l’intégration financière internationale convergent pour faire apparaître un très haut degré d’intégration des marchés de capitaux : le stock d’investissement direct à l’étranger est élevé, culminant selon Paul Bairoch en 1913 à 20-22% pour l’Europe occidentale, l’Angleterre « banquier du monde » finance des projets de développement dans la plupart des zones.
La camisole de force dorée
Le système monétaire de l’étalon-or garantissait alors la stabilité des cours de change et des prix. Au sein de ce système les populations influençaient très peu les politiques nationales (suffrage censitaire, absence de droit de vote des femmes…). Il était donc possible d’avoir un monde constitué d’états-nations fortement intégrés économiquement, dans lequel les populations devaient supporter des épisodes de déflation prolongée (comme aux Etats-Unis dans les années 1890). Cette situation est désignée par l’expression camisole de force dorée. La progression des aspirations démocratique notamment sous l’influence la Grande Guerre a rendu ce compromis intolérable.
Des replis autarciques
Les progrès démocratiques permettent aux populations d’exiger des avancées sociales et une protection contre l’instabilité de l’activité économique surtout après la crise financière de 1929. Les gouvernements soucieux de conserver leur souveraineté, dans un environnement de nationalisme exacerbé, mettent en œuvre des replis autarciques sur les plans commerciaux et financiers. Un protectionnisme radicalement nouveau par son ampleur et ses instruments est déployé dans les années 1930 (droits de douanes portés à des plus hauts historiques, contingentements, quotas, dépréciations monétaires volontaires…). Il entraine une dislocation de l’économie internationale, une véritable crise de la mondialisation. La contraction des échanges, presque aussi brutale pour la France que pour les pays qui ont choisi l’« autarcie », annule en quelques années toute la progression du demi-siècle précédent. Les flux migratoires, les flux de capitaux (émissions internationales ou crédits bancaires) à l’exception partielle des investissements directs, se sont quasiment taris au cours des années 1930. L’intégration financière internationale atteint un creux à partir de 1929 et dans le même temps les échanges commerciaux se restreignent. Ces mouvements simultanés traduisent la multiplication des obstacles et contrôles. Les politiques de relance cherchent une issue à la dépression dans le cadre national.
Les compromis après la Seconde Guerre mondiale
Après le choc de la Seconde Guerre mondiale sous l’ère du système de Bretton Woods (1944-1971), un autre compromis se fait jour, caractérisé par une limitation de l’intégration économique (maintien d’un contrôle des changes, maintien d’un certain niveau de protection commerciale…) et l’exercice de la démocratie au sein d’états souverains. Les gouvernements parviennent à stabiliser l’activité économique à travers l’utilisation de politiques conjoncturelles, d’inspiration keynésienne, efficaces comme l’illustre le cas de la relance Kennedy-Johnson dans les années 1960 aux Etats-Unis.
Conclusion
Certes l’histoire de la mondialisation montre une amplification des battements de l’économie globale et fait ressortir l’intensité de l’actuelle mondialisation. Mais elle est aussi scandée par des épisodes de repli, de perturbations des échanges qui montrent que le phénomène n’est pas, intrinsèquement, irréversible. L’intensité de la mondialisation économique participe d’un équilibre plus global qui renvoie au rôle que les états-nations entendent jouer et à la capacité des populations à peser sur les décisions politiques.