5.2. La reconstruction d’une économie mondiale intégrée, pacifiée et stable

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Cours: Histoire des faits économiques
Livre: 5.2. La reconstruction d’une économie mondiale intégrée, pacifiée et stable
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Date: jeudi 21 novembre 2024, 18:06

Introduction et objectifs

La Seconde Guerre mondiale, conflit le plus désastreux de tous les temps, n’a entraîné que de faibles changements dans la production mondiale globale. En revanche, elle a provoqué une remise en question radicale de la hiérarchie des puissances engagées dans la guerre et un changement tout aussi radical en matière de gouvernance de l'économie internationale. Les historiens sont d'accord pour considérer que les transformations économiques profondes que connaissent les économies industrielles entre 1945 et 1975 sont la conséquence de la mise en place d’un nouveau cadre économique international par les grandes nations qui s’étaient combattues pendant la 2GM.

A la fin de cette section, vous saurez :

  • Présenter le contexte et les outils de la reconstruction des économies européennes après la 2GM
  • Expliquer comment les Etats-Unis sont devenus une puissance économique et monétaire hégémonique
  • Expliquer les principes et les effets du Gold Exchange Standard
  • Expliquer les grands principes de la gouvernance du commerce mondial (Clause de la nation la plus favorisée, clause du traitement national, Système des Préférences Généralisées)
  • Appliquer le Triangle d’incompatibilité de Mundell à l’analyse de la régulation macro-éoconomique dans des contextes historiques différents

Le nouvel ordre commercial mondial : le GATT et la régionalisation du commerce

Le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce en français) est signé le 30 octobre 1947 par 23 pays. L'objectif principal de l'accord est de faire baisser les prix pour les consommateurs, mieux utiliser les facteurs de production et favoriser l'emploi dans les secteurs où chaque pays détient un avantage comparatif grâce à la liberté des échanges. Il se fonde pour cela sur un objectif de concurrence loyale en visant à supprimer les entraves aux échanges, qu’elles soient tarifaires ou non (droits de douane, contingentement, subvention à l’exportation, dumping).

Trois principes fondamentaux

Pour atteindre la forme la plus avancée de concurrence loyale et de libéralisation des échanges dans un cadre multilatéral, trois principes fondamentaux sont appliqués dans le cadre de grandes négociations (rounds) multilatérales :

  • La clause de la nation la plus favorisée (principe de non-discrimination - article 1) : un pays qui accorde un avantage commercial à un autre pays doit l'étendre immédiatement aux autres pays signataires de l'accord.
  • La clause du traitement national (principe de réciprocité - article 3) : chaque pays s'engage à appliquer les mêmes règles (fiscalité, normes) sur son territoire au niveau des entreprises et produits étrangers qu'au niveau des entreprises et produits nationaux.
  • La consolidation des accords : (article 2) on ne revient pas sur un accord antérieur (par exemple une baisse de droit de douane) et toute accession d’un nouveau pays à l’accord doit s’accompagner de sa part d’une offre de baisse de tarifs. Ainsi, une fois fixés, les tarifs douaniers ne peuvent plus être augmentés, sauf cas de clause de sauvegarde, sans compensation auprès des partenaires commerciaux (droits anti-dumping).

Libéralisation des échanges commerciaux internationaux

Sur la base du principe simple par lequel les pays échangeant un produit s'entendent sur un tarif douanier qui s'étend alors aux autres parties contractantes, le GATT a impulsé un mouvement considérable de libéralisation des échanges commerciaux internationaux entre 1947 et 1973. Les 23 pays signataires du Kennedy Round (1964-1967) représentant 80% du commerce mondial du round initial de Genève parviennent par exemple à un abaissement de 35% en moyenne des tarifs douaniers sur 45000 articles manufacturés, soit la libéralisation de la moitié des échanges mondiaux. De 1947 à 1973, la diminution des droits de douane fut la préoccupation majeure des cycles de négociations, les négociations deviennent multilatérales et portent sur une réduction linéaire des tarifs douaniers, puis sur leur harmonisation, et pour la première fois sur le dumping.

Sous les conditions que l’accord régional ne doit pas conduire à un relèvement des tarifs appliqués aux pays tiers et que les barrières internes de la zone soient abolies dans un délai raisonnable, le GATT autorise que des zones régionales de libre-échange soient mises en place parce qu’elles contribuent à instaurer la concurrence loyale et de libéralisation des échanges dans un cadre régional.

La régionalisation de l’économie mondiale

La construction économique européenne relève de ce processus de régionalisation de l’économie mondiale. Il s’agit du regroupement d’Etats-Nations dans des ensembles politiques et/ou économiques plus ou moins fédérés, c’est-à-dire d’une intégration régionale qui lie des pays géographiquement proches à travers des relations économiques dépassant alors les frontières politiques pour favoriser la formation de marchés dits intégrés. L’Union européenne est l’une des premières formes abouties de ce processus. A partir de la fin des années 1980, nombreux seront les accords commerciaux signés sur des initiatives similaires (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Asie du Sud-Est…)

Un contexte mondial inédit : Reconstruction, stabilisation et re-mondialisation

L’objectif de la mise en place d'une gouvernance multilatérale de l'économie mondiale est d’éviter la répétition du gâchis de l’entre-deux guerres (instabilité et replis nationaux) en renouvelant les modalités de coopération en États. En 1945, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la charte de l'Organisation des Nations unies (ONU) est ainsi signée à San Francisco. Elle tire les leçons à la fois de l'impuissance de la Société des Nations (SDN) et des désordres économiques de l'entre-deux-guerres, en particulier de la crise économique de 1929 (la Grande Dépression). Elle fait alors beaucoup plus attention à la coopération économique internationale. Les chapitres IX et X de la Charte affirment même la nécessité de créer les outils internationaux pour développer cette coopération.

Ce nouveau cadre international qui doit garantir la pacification est orienté vers les grands objectifs de reconstruction, de stabilisation et de re-mondialisation. Il s’agit clairement d’éviter au lendemain de la seconde guerre mondiale l’immense gâchis de l’entre-deux guerres qui s’était caractérisé par le repli, la fermeture des économies sur elles-mêmes et leurs colonies lorsqu’elles en avaient. Le résultat de ce protectionnisme forcené avait été désastreux en rendant commerce international et croissance économique atones pendant toutes les années 1930.



L'accélération du commerce international

L’immédiat après-guerre est caractérisé par un rebond véritable qui sera suivi par une accélération continue : le volume moyen des exportations mondiales croît de 6,1% par an de 1953 à 1958, de 7,4% de 1958 à 1963, de 8,3% de 1963 à 1968 et de 9,2% de 1968 à 1973. C’est quasiment le double du taux de croissance du PIB mondial qui est lui-même exceptionnel. Le taux d’exportations des marchandises de l’Europe occidentale passe de 9,3% en 1950 à 15,9% en 1970 à prix constants. Après le commerce, ce sont les investissements directs, les mouvements de capitaux qui vont s’accélérer.

L’accélération du commerce mondial s’explique d’abord par des facteurs économiques puisque c’est pendant la période des 30 glorieuses que les coûts du commerce international connaissent une chute historique comme le montre le graphique 5.4.1. Le renforcement des infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires provoque l’abaissement continu et sensible des coûts de transports. Il en est de même des coûts de communication ou de coordination qui chutent sur la même période et rendent encore plus simple l’organisation de la production et du commerce à une échelle globale.

Graphique 5.2.1. La chute des coûts du commerce international (transport aérien en bleu foncé, transport maritime en jaune, stockage de données numériques en jaune, communications téléphoniques en vert) pendant les trente glorieuses.




Un nouvel ordre économique international

Mais l’internationalisation rapide des économies s’explique aussi par la volonté politique de mettre en place un nouvel ordre économique international par les politiques commerciales et monétaires favorisant les échanges. Tout d’abord, le plan Marshall renforce la domination de l’économie américaine via ses crédits et des exportations mais accélère la reconstruction des pays détruits par la guerre (voir la sous-section 5.2.4). Puis, avant même la fin de la 2GM, en juillet 1944, à la conférence de Bretton-Woods deux projets de reconstruction économique et monétaire s’affrontent, le projet soutenu par les États-Unis finissant par s'imposer et consacrer l'hégémonie du dollar dans le système monétaire international.

Enfin, dès 1946, la volonté de libérer les échanges internationaux est proclamée à la « conférence des Nations unies pour le commerce et l'emploi » de la Havane» avant que la conférence de Genève mette en place le General Agreement on Tariffs and Trade en 1947 (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) dont l'objectif fondamental est de favoriser les échanges internationaux en réduisant progressivement les tarifs douaniers à l’issue de « rounds » successifs de négociation entre les nations.

Le plan Marshall (1947-51) : Reconstruire l’Europe et le Japon en écoulant les surplus américains

En 1945, les pays européens et le Japon finissent la 2GM détruits, endettés, et exposé à des risques de pénurie (notamment alimentaire) et de misère endémique et des risques « de dislocation économique, sociale et politique très graves » (dans les propres termes du Secrétaire d'État Marshall). 

En juin 1947, les Etats-Unis mettent en place un plan d’aide aux pays européens et le Japon dont les besoins de reconstruction sont énormes et qui sont sous la menace d’une expansion du communisme : L'European Recovery Program ou Plan Marshall sera voté en 1948. La supervision des fonds du plan Marshall est assurée par une nouvelle organisation supranationale (l'Organisation européenne de coopération économique) créée le 16 avril 1948. L’OECE organise également la coopération entre les pays participants au programme de relèvement européen et la coordination entre leurs programmes de production (sera remplacée par l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) en 1961).

le Plan Marshall correspond à une aide totale de 13 milliards de dollars (environ 130 milliards de dollars d’aujourd’hui soit près de deux années d’APD européenne). Cette aide est allouée à 17 pays[1] sous forme de dons, de prêts ou en nature sur une période de quatre années (1948-1951) et elle est associée d'une assistance technique pour de nombreux ingénieurs et industriels européens. 

Le plan Marshall répond au double objectif de limiter l’expansion du communisme et d’éviter la surproduction qui menace l'économie américaine. Les dons en dollars des EU doivent être utilisés par les ménages français pour acheter des biens d’équipement américains et l’argent récolté (la contre-valeur) est mobilisés (à hauteur de 95 puis 90%) par le gouvernement français pour financer les besoins d’investissements publics et privés liés à l’objectif de modernisation : tracteurs, matériels ferroviaires. 

L'aide financière est d’abord utilisée pour limiter les pénuries en achetant de la nourriture et de l'essence, avant que l’objectif de reconstruction des appareils productifs et des infrastructures conduise à acheter des biens d’équipements importés des EU. La Grande Bretagne et la France se partagent presque la moitié des fonds (26% et 23%).

Au bilan, les fonds du plan Marshall et les investissements dans les technologies américaines ont certainement facilité la reconstruction des économies européennes qui se sont reposées sur leurs forces propres dès les années 1950. Le processus de coopération imposé par les américains a également eu un impact certain sur l’initiation d’un processus d'intégration européenne.



[1] Autriche, Belgique, Danemark, Irlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse et Turquie + la République Fédérale d'Allemande (RFA) en 1949.


Le Système Monétaire International (SMI) de Bretton-Woods : l’hégémonie du dollar

Afin d’assurer la future stabilité monétaire – donc économique et politique -, dans le monde occidental (l’URSS se refermant sur elle-même et gardant un rouble inconvertible), le Système Monétaire International (SMI) est mis en place immédiatement après la guerre. Tout commence avec la conférence de Bretton Woods qui s’est tenue en juillet 1944 (du 1 au 22) et qui regroupe 44 Etats autour de plusieurs objectifs : (i) rétablir le multilatéralisme monétaire et commercial ; (ii) assurer la convertibilité des monnaies entre elles ; (iii) rattacher les différentes monnaies de façon stable (parités fixes) à des unités de réserve (or et dollar pour l’essentiel, la Livre Sterling sortant trop affaiblie de la guerre pour rester une monnaie de référence internationale) ; (iv) créer des mécanismes de solidarité entre les Banques centrales et les Etats pour éviter que des crises localisées ne deviennent systémiques comme au début des années 1930. 

Alors que deux projets sont en concurrence, c’est le plan américain préparé par Harry White qui sera finalement adopté[1]. Il présente deux caractéristiques : (i) le Gold Exchange Standard (GES) : « la parité de la monnaie de chaque Etat membre sera exprimée en termes d’or pris comme dénominateur commun ou en dollar des EU de poids et de titre en vigueur au 1er juillet 1944 » ; (ii) une règle générale : « tout Etat membre s’engage à ne permettre sur son territoire que des opérations de change qui respecteront un écart ne dépassant pas 1% de la parité ». Sinon la Banque centrale doit intervenir.

Le GES est donc un système de changes fixes mais ajustables en cas de déficits graves et/ou prolongés. Au lendemain de la guerre, les EU ont un stock d’or considérable. En 1947, le secrétaire d’Etat au Trésor américain, Snyder, peut ainsi informer le FMI que les EU vendront l’or contre tous les dollars qui leur seront présentés. Les autres pays, faute de réserves suffisantes en or, doivent utiliser leurs réserves en dollars pour obtenir de l’or à taux fixe (35 dollars l’once) sans limitation. On a donc une convertibilité à deux paliers, avec passage de chaque monnaie au dollar et à partir du dollar, passage à l’or. Le dollar – as good as gold -, devient un sas vers l’or. 

Le système repose en outre sur deux institutions internationales :  le FMI a pour mission la stabilisation des changes : il gère un stock de devises et d’or fournis par les Etats membres et que ceux-ci peuvent mobiliser (droits de tirages) en cas de crise monétaire. Des fonds sont alors avancés pour éviter la spéculation, l’affaiblissement des réserves, la fuite des capitaux. En échange, sont pris des engagements d’assainissement budgétaire, financier et commercial ; une banque pour la reconstruction et le développement avec une mission de court terme de financement du commerce extérieur et une mission de long terme de financement de la reconstruction : ce sera la BIRD puis la Banque Mondiale.



[1] Un plan britannique assez différent élaboré par Keynes depuis 1941 était en concurrence avec le plan américain. Il était basé sur : (i) l’Union de Compensation – clearing union -, qui constitue un système bancaire ouvert qui s’interpose entre les Banques centrales des différents Etats membres pour le règlement mutuel des soldes de leurs balances des paiements ; (ii) une nouvelle monnaie internationale – le Bancor dont la valeur est définie par rapport à l’or et par rapport à laquelle la valeur de chaque monnaie nationale est fixée – dans laquelle les comptes des BC sont libellés et les compensations sont effectuées. Le crédit d’un pays en Bancor augmente s’il enregistre un excédent commercial, les emprunts de Bancor aux pays excédentaires sont possibles pour les pays déficitaires ou bien la vente d’or contre Bancor à l’Union.

 


Références

Niveau, M. et Y. Crozet (2016) Histoire des faits économiques contemporains, Collection Quadrige, PUF (4ème édition)