6.4. Forces et fragilités des nouvelles puissances économiques émergentes dans la deuxième mondialisation
Site: | ZERUN |
Cours: | Histoire des faits économiques |
Livre: | 6.4. Forces et fragilités des nouvelles puissances économiques émergentes dans la deuxième mondialisation |
Imprimé par: | Visiteur anonyme |
Date: | dimanche 24 novembre 2024, 03:14 |
Table des matières
- Introduction de la section et objectifs
- Les grands émergents et la mondialisation ont contribué à réduire les inégalités de développement globales
- L’émergence industrielle (en trompe l’œil) des pays en développement
- Les crises de l’émergence économique ou la fragilité financière des pays en développement
Introduction de la section et objectifs
Les pays pauvres ont connu des trajectoires de développement économique très diverses depuis les années des indépendances (1950-1960). La deuxième mondialisation va accentuer les différences de richesse entre les pays riches et les pays pauvres, ainsi qu'entre pays en développement eux-mêmes. A partir des années 1990, certains pays en développement vont émerger comme des puissances industrielles capable de concurrencer les pays riches. Toutefois, la mondialisation et la globalisation financière ont également généré des fragilités financières pour un grand nombre de pays en développement qui ont conduit à de nombreuses crises dont certaines ont été très couteuses pour certains d'entre-eux.A la fin de cette section, vous saurez :
- Expliquer ce que montre la courbe de l’éléphant et la
courbe en U inversé de Kuznets ;
- Décrire comment ont évolué les deux
composantes des inégalités mondiales ;
- Expliquer comment certains pays émergents vont devenir
des acteurs majeurs de la mondialisation productive ;
- Expliquer les faiblesses des économies émergentes et les mécanismes des crises qui les frappent dans les années 1990.
Les grands émergents et la mondialisation ont contribué à réduire les inégalités de développement globales
Graphique 6.6.1. Evolution des inégalités globales : 1950-2016
Le graphique 6.6.2 montre l’évolution des inégalités mondiales selon trois définitions. Alors que les inégalités de PIB/tête (Concept 1) ont augmenté comme le montre le graphique 6.6.1, elles baissent lorsque les PIB/tête sont pondérés par les populations, sous l’influence de l’émergence de grandes économies comme la Chine, le Brésil ou l’Inde dont les populations sont de moins en moins pauvres (Concept 2). Lorsque les inégalités internes et externes sont combinées, les inégalités globales augmentent lorsque la Chine puis l’Inde sont prises en compte par la mesure, ces grands émergents étant très inégalitaires. Toutefois, la position des points verts sur le graphique 6.6.2 montre que ces inégalités internes de revenu diminuent avec le temps grâce aux effets positifs de la croissance économique et des politiques de redistribution sur la réduction des inégalités : c’est ce que l’on appelle la relation en U inversé de Kuznets entre niveau de revenu par tête et niveau des inégalités.
Graphique 6.6.2. Evolution des inégalités globales : 1950-2009
La réduction des inégalités globales de développement dissimule donc des capacités individuelles très différenciés à capter les bénéfices de la croissance globalisée en fonction de la position sociale et économique du ménage et du pays où il se situe : c’est ce que montre la courbe de l’éléphant proposée par Branco Milanovic (de la Banque Mondiale) qui montre que les groupes sociaux ayant le plus tiré parti de la croissance entre 1998 et 2008 sont les classes moyennes des pays en développement et les classes supérieures des pays développés. Dit autrement, un ménage pauvre des pays riches a un niveau de revenu bien supérieur à un ménage de la classe moyenne des pays pauvres, mais son revenu aura augmenté beaucoup moins vite entre 1998 et 2008 que celui des ménages des classes moyennes des pays en développement.
Graphique 6.6.3. Courbe de l’éléphant : gains de revenu moyen réel pour les ménages des différentes tranches de la distribution mondiale des revenus : 1988-2008 (Source : Blog d’Olivier Galland, CNRS)
Les raisons de ces situations sont différentes. Pour les premiers, c’est la mondialisation productive, l’insertion des économies émergentes dans les chaînes de valeur globale et les politiques sociales ambitieuses de leurs pays (Chine, Brésil, Inde) qui ont contribué à diminuer le nombre de pauvre et à sécuriser les statuts et les conditions de vie d’une classe moyenne de plus en plus nombreuse. Pour les seconds, ce sont essentiellement les dynamiques très favorables aux revenus financiers contenues dans la croissance des marchés d’action, les stratégies de distribution de dividendes des entreprises, les coûts faibles du crédit, et les réformes fiscales pro-riches qui expliquent les gains élevés des dernières années . Les grands perdant semblent être les classes moyennes des pays développés et les pauvres des pays en développement.
L’émergence industrielle (en trompe l’œil) des pays en développement
Graphique 6.4.4. Part des échanges de produits industriels dans la totalité des échanges nord-nord et sud-nord (Source : Schott (2004) Across-product vs within-product diversification, QJE)
A partir des années 1980, les pays en développement réalisent des gains réguliers de parts de marché dans tous les secteurs industriels. Dès les années 2000, les échanges de produits manufacturés représentent plus de 60% des échanges sud-nord contre moins de 20% en 1980 (Graphique 6.4.4). Les taux de pénétration des exportations asiatique et latino-américaine de produits industriels comme la chimie ou les machines augmentent significativement entre 1972 et 2005 comme le montre la progression de la pénétration des exportations de biens manufacturés et des biens d’équipement chinois aux Etats-Unis le tableau 6.4.1.
Tableau 6.4.1. Taux de pénétration (part des produits d’un secteur donné qui sont exportés aux Etats-Unis par au moins un des pays de la région) par produit et par région : 1972-2005 (Source : Schott (2004) Across-product vs within-product diversification, QJE)
La moitié des exportations de biens industriels et de biens intermédiaires est faite par les pays en développement dans les années 2010. De plus, l’intégration régionale crée des flux commerciaux entre les pays en développement : plus de 50% (60% pour Asie) des échanges sud-sud sont en fait des échanges intra-régionaux. Si l’on somme les échanges sud-nord et sud-sud, il en résulte que les pays en développement sont impliqués dans les deux tiers des échanges mondiaux.
Une évolution à interpreter avec précaution
Toutefois, le poids croissant des pays en développement dans les échanges industriels doit être interprété avec précaution pour trois raisons.
Tout d’abord, de nombreux pays en développement (quasiment tous les pays à bas revenu) sont exclus du commerce industriel avec les pays du nord. En Afrique par exemple, les performances de pénétration des exportations de produits manufacturés dans les pays riches sont encore très faibles, la plupart des pays africains continuant à exporter des produits primaires vers les pays du nord dans les années 2000 et 2010. Cette tendance a été encore renforcée par les prix très élevés des produits primaires pendant toute la décennie 2000.
Ensuite, par leur production qui est généralement limitée à l’assemblage de composants préalablement importés de pays plus développés, de nombreux pays en développement contribuent peu à l’ensemble de la valeur ajoutée du produit. Ceci signifie que la majorité des gains associés au commerce de ces biens continue à être captée par les pays plus développés où sont localisées les tâches à plus forte valeur ajoutée et générant donc des salaires et profits supérieurs.
Enfin, les bonnes performances en volume d’exportation industrielles ont tendance à occulter des différences importantes de qualité et de prix unitaires entre les produits d’une même branche exportés par les pays en développement et par les pays développés. La diversification extrême des sources d’importations d’un même produit par les Etats-Unis à partir des années 1980 cache en fait une forte différentiation des produits en termes de qualité et de prix. Ce point devient plus évident si l’on compare la qualité et les prix des vêtements exportés par la France aux Etats-Unis avec ceux qui y sont exportés par l’Ethiopie ou la Chine.
Les crises de l’émergence économique ou la fragilité financière des pays en développement
Les crises financières de la fin du XXèmesiècle
La grande séquence de crise des économies émergentes des années 1990 démarre au Mexique en 1994, là où la croissance retrouvée avait attiré massivement les capitaux internationaux qui y avaient trouvé des rendements élevés et des secteurs, industriels, immobiliers, agricoles en forte croissance. Lorsque la croissance s’essouffle et que les opportunités d’investissements profitables diminuent, la confiance se perd et le reflux rapide et massif des capitaux s’amorce, entrainant avec lui l’effondrement de la monnaie nationale. Toutefois, si les perspectives de profits ne sont plus manifestes en Amérique latine, elles sont criantes en Asie du sud-est où s’orientent, bien évidemment, massivement les capitaux.
Mais là encore et pour des raisons similaires, la crise va éclater. Les mécanismes de la crise Thaïlandaise sont typiques des crises des économies émergentes. Comme au Mexique, cette crise a, tout d'abord, traduit l’usure du modèle de développement à marche forcée, avec des taux de croissance autour de 6%, des surinvestissements massifs, des transferts frénétiques de ressources de l’agriculture vers les secteurs industriels et les zones urbaines. Cette crise a également mis en évidence l’opacité et la fragilité des secteurs bancaire et financier jeunes et mal gérés des économies émergentes et les risques très élevés générés par le fait que les banques empruntent beaucoup à très court terme et prêtent de même. Les investissements sont alors massifs sur des marchés pourtant saturés (automobiles, construction), donc non rentables et de plus en plus risqués, sans que le manque de rentabilité réelle n’apparaisse réellement du fait de l’immaturité du système financier. Quand les moins-values commencent à être enfin prévisibles, les capitaux étrangers fuient les bourses asiatiques, les monnaies se déprécient et le cours des actions s’effondrent. Cet ensemble de symptômes monétaires et financiers sont révélateurs de la fragilité d’une croissance dont ils signent d’ailleurs le coup d’arrêt : des plans d’austérité sévères sont mis en œuvre pour rétablir les équilibres, les dépenses publiques sont drastiquement ralenties, les banques, y compris parmi les principales et apparemment les plus florissantes, font faillite, ne parvenant plus à rembourser leurs propres dettes dont le montant explose sous l’influence de la dévaluation des monnaies et de la défaillance de leurs clientèles. La dépréciation des monnaies ne joue alors qu’un effet positif limité sur le commerce qui est essentiellement intra-zone. La croissance économique chute alors pendant parfois plusieurs années et le chômage explose.
L'explication de ces crises
L’origine de ces crises est à rechercher dans le modèle de croissance et
dans la structure du financement des politiques de développement mises
en œuvre par les économies émergentes afin de soutenir et stimuler
l’économie nationale. Les taux d’investissement très élevés qui
soutiennent la croissance « extensive » de nombreux pays émergents sont
en effet essentiellement financés par des capitaux de court terme venant
des marchés internationaux. Les investisseurs sont attirés par les
performances très élevées de croissance économique des pays émergents
tirés à la fois par les exportations et par le dynamisme des marchés
domestiques. Or, les investisseurs internationaux sont également très
sensibles aux risques présentés par ces économies dans lesquelles les
monnaies sont relativement récentes et les banques centrales peu
expérimentées en cas de crise. Dans le doute, ils ont tendance à retirer
très rapidement leurs capitaux dès qu’ils perçoivent sur les
perspectives de croissance d’une économie émergente. Les mécanismes à
l’œuvre, quelle que soit la zone frappée, seront globalement toujours
les mêmes : Fragilité et opacité des perspectives de croissance et de la
crédibilité des politiques économiques + Surévaluation de la monnaie
nationale en raison des afflux d’investissement -> Déséquilibre
commercial extérieur + ralentissement de la croissance -> fuite des
capitaux étrangers -> chute de la monnaie nationale et crise
financière (dettes publique et privé en monnaies étrangères ne peuvent
plus être remboursées) + chute des marchés d’action nationaux (en raison
des ventes massives).
Des journalistes économiques pleins
d’humour, de cynisme et de bon sens à la fois ont baptisé la crise
mexicaine de 1994 « d’onde Tequila ». Or et bien évidemment, au-delà de
la plaisanterie, ce sont les excès et les abus de la finance
internationale mal maîtrisée qu’il s’agit de pointer ici. Les effets en
sont étourdissants et dévastateurs autant que rapides en raison,
notamment, de l’intensité des relations des échanges commerciaux et de
la proximité géographique et culturelle des économies qui sont
concernées dans un monde qui se régionalise depuis la seconde guerre
mondiale. Se met en place un véritable effet de contagion par le
commerce international et par les pertes financières communes, par
lequel un investisseur se dégage d’une position parce que d’autres le
font. Même si c’est en Thaïlande qu’elle s’ouvre en juillet 1997, la
crise s’étend en effet en quelques semaines en Indonésie, en Malaisie
puis aux Philippines (c’est-à-dire à l’ensemble des Tigres) puis en
Corée du Sud, à Singapour, à Hong-Kong et Taïwan (c’est-à-dire cette
fois aux Dragons) où les conditions sont identiques. Enfin, la contagion
gagne la Russie et les Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) dès
1998, la République tchèque est atteinte tout comme la Hongrie, les
capitaux refluent. L’Europe a eu chaud mais déjà une nouvelle vague de
crise se prépare au Brésil où elle éclatera en 1999, puis en Argentine
en 2000.
Après des années de profits élevés dans les économies
émergentes, la « prudence » financière a donc ramené les capitaux
internationaux sur les lieux anciens du capitalisme américain et
européen au début du 21e siècle. Peut-être moins profitables, sûrement
mieux encadrés, ces économies n’en sont pas plus sages ni mieux régulés
pour autant, comme l’attestent les deux crises financières des années
2000 dont l’origine est clairement à trouver dans les excès des systèmes
financiers notamment aux Etats-Unis.