L’unification culturelle et la constitution d’une communauté nationale
L’épisode de la Commune de Paris a fait prendre conscience aux dirigeants de la nécessité d’intégrer les classes populaires à la communauté nationale, plutôt que de les traiter en « ennemi de l’intérieur ». La République doit être « une et indivisible », unir de façon forte l’ensemble de la population. Est alors lancé un grand processus d’unification culturelle de la population, qui va prendre plusieurs formes :
- Par les échanges entre régions. Le chemin de fer continue à se développer, principalement sur les lignes secondaires pour desservir efficacement l’ensemble du territoire, sous l’impulsion du ministre Freycinet.
- Par le brassage des populations. Le service militaire universel, conçu comme la contrepartie du suffrage universel, unifie les individus dans la défense commune de la Nation. Aucun passe-droit ne permet d’y échapper (ce qui était le cas jusqu’ici).
- L’unification culturelle se fait surtout par l’éducation. Les lois Ferry, au début des années 1880, instituent l’instruction laïque, gratuite et obligatoire. Contrairement à une idée reçue, ces lois ne visaient pas à l’alphabétisation, déjà assurée par la loi Guizot de 1833 (80% des enfants de 6 ans à 13 ans sont scolarisés en 1880), mais à l’imposition de références communes à l’ensemble de la population. Les écoliers de toutes les régions de France, de toutes les classes sociales ont désormais en commun la même histoire, les mêmes références culturelles. On constitue un « roman national » qui a pour but d’affirmer une identité commune fondée sur la Nation.
En outre, la France connait alors un fort développement de la culture écrite et des journaux. Ce point est très important, car jusqu’ici les opinions avaient été façonnés par les notables, seuls à avoir accès à une culture écrite. Désormais, les classes populaires peuvent se forger leurs propres convictions, avec la multiplication des journaux d’opinion comme La Justice, dirigé par Clemenceau ; L’Egalité, journal socialiste dirigé par Jules Guesde ; ou La Libre Parole, journal nationaliste dirigé par Edouard Drumont. Enfin, la période est marquée par un développement important de la petite fonction publique : instituteurs, postiers, etc[1].
Ainsi, trois éléments fondamentaux : la démocratisation de la vie politique par le suffrage universel, la réforme de l’école, et la liberté de la presse amènent à une « nationalisation de la société », c’est-à-dire la formation d’une même communauté d’appartenance basée sur la nationalité.[1] Le nombre d’employés du chemin de fer passe de 86 000 en 1886 à 308 000 en 1907 ; les instituteurs de 64 000 en 1876 à plus de 100 000 en 1892. Ces emplois sont souvent occupés par des ruraux qui ont quitté leur terre pour faire des études à la ville.