Déséquilibres financiers et crises de dette généralisées dans les pays en développement
La série de crises qui éclate à partir des années 1980 est mondiale au
sens où elle touche aussi bien les débiteurs que les créanciers et qu'elle
trouve son origine dans l'augmentation des flux de commerce et de financement
globaux.
Initialement, les crises de dette souveraine des pays en développement
(PED) prennent racine dans l’abondance des dollars réinvestis ou prêtés par les
pays exportateurs de pétrole aux pays importateurs, dont les pays en
développement. De fait, les dettes du Tiers-Monde augmentent plus vite que la
croissance économique des emprunteurs au cours des années 1970: là où le PIB ne
croit « que » de 4,5% par an, la dette, elle, est multipliée par 4,5
en 10 ans et atteint ainsi 450 milliards de dollars en 1980 (contre 100
milliards en 1971). Pour autant, les banques internationales ne cessent de
prêter car elles sont riches de pétrodollars et leurs clientèles
traditionnelles (américaines et européennes), frappées par la crise,
déclinent ; les établissements de crédit sont mêmes en situation de
surliquidité, la clientèle du Tiers-Monde qui cherche des financements pour ses
politiques de développement est alors une véritable aubaine.
En août 1982 se déclenche une crise financière après l’augmentation des
taux d’intérêt américains (pour baisser l’inflation aux EU) et l’appréciation
consécutive du dollar qui font grimper le montant de la dette des PED qui est
indexée sur les taux américains et libellée en dollars. L’épargne
internationale se tourne alors vers les Etats-Unis en faisant défaut aux PED
qui en ont pourtant besoin pour financer les politiques de développement
engagées ; la chute des exportations des PED à la suite du ralentissement
de la croissance mondiale entraine de nouveau la baisse des recettes en
devises, déséquilibrant de nouveau la balance commerciale, obligeant de nouveau
à l’endettement… pour financer les achats engagés. Les PED commencent alors à
emprunter pour payer l’intérêt de leurs dettes et bientôt cela ne suffit même
plus d’autant que du côté des prêteurs, les pétrodollars se raréfient et que
l’on devient dès lors plus réticent à prêter.
En août 1982, la crise éclate car, avec une dette de 100 milliards de dollars,
le Mexique se déclare insolvable. La dette du Tiers-Monde s’élève alors à 732
milliards de dollars. Suivront en quelques jours une dizaine de pays
incapables, annoncent-ils dans un premier temps, d’assurer le service de leur
dette (Brésil, Argentine, Indonésie…). Mais c’est le système financier
international tout entier qui risque alors une faillite globale. Pour l’éviter,
la Réserve Fédérale (Banque Centrale américaine), Le FMI et la Banque Mondiale
vont à leur tour se mettre à prêter massivement aux PED pour qu’ils remboursent
leurs créanciers (Plan Baker de 1985 du nom du Secrétaire d’Etat au Trésor
américain de l’époque) : 25 milliards de dollars frais le seront en 1985
alors que la dette atteint, rappelons-le, 1026 milliards. Les fonds publics
viennent remplacer les fonds privés : en 1981, les fonds privés
représentent 60% du total de la dette contre 14% seulement en 1991.
L’objectif des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) qui sont
associés à ces aides est que les PED parviennent, en se développant, à dégager
un surplus exportable pour engranger suffisamment de recettes en devises
permettant de régler leurs dettes. La rigueur budgétaire, la
dérèglementation des prix à la production, la dépréciation de la monnaie nationale
pour stimuler les exportations et déprimer les importations et le resserrement
de la politique monétaire dépriment la consommation et l’investissement public
et privé renforçant les mécanismes de la crise dans beaucoup de pays. Les PAS
ne sont ainsi pas étrangers aux « décennies perdues » par l’Amérique
latine dans le dernier tiers du siècle dernier. La crise persiste et
s’intensifie. Les observateurs internationaux commencent alors à penser que
l’on s’est peut-être trompé de remède ; la gestion de la crise entre dans
sa deuxième phase.
De 1986 à 1988, va se développer un véritable marché secondaire de la dette qui
atteste de l’échec du plan Baker. Les banques internationales sont en
effet devenues frileuses à prêter sauf à accompagner les nouveaux crédits de
contreparties. Au contraire, elles souhaitent plutôt se désengager rapidement
et solder les positions qui sont les leurs. Un marché très liquide de revente
des créances douteuses, après décote de près d’un tiers de la valeur
originelle, s’organise alors notamment autour des positions centre ou
sud-américaines qui attirent les FMN qui se portent acquéreuses.
A partir de 1989, les observateurs internationaux, au rang desquels les
bailleurs de fonds privés et publics, diagnostiquent que la crise n’est pas
une crise de liquidité, donc conjoncturelle et transitoire, mais une
crise de solvabilité, c'est à dire une crise plus structurelle. La
stratégie de gestion de la crise change alors puisqu'elle va être basée sur les
marchés internationaux des capitaux et qu'elle va mobiliser les titres de
créances négociables. C’est l’optique du plan Brady (Secrétaire d’Etat
au Trésor américain) qui consiste en un allègement de la dette bancaire en
échange de titres que l’on baptisera obligations Brady. Ils ont moins de valeur
que la créance initiale mais ils sont garantis par le FMI ou la Réserve
Fédérale et ils sont négociables sur les marchés financiers
internationaux.
Cette "titrisation" de la dette des PED à grande échelle permet aux
banques internationales « imprudentes » d’éviter la faillite pure et
simple par la mutualisation des risques, donc des pertes, permise par la
globalisation financière d’autre part.
Au bilan, cette solution fonctionne plutôt bien puisque (i) le
prêteur/créancier originel obtient des titres de créances (les obligations)
voire des titres de propriété (actions sur le foncier ou sur le parc
industriel) qu’il peut ensuite négocier sur les marchés internationaux des
capitaux qui sont alors en plein essor (auquel ils contribuent dans le même
mouvement) au cours des années 1990, et (ii) la dette des PED est restructurée
en s’ouvrant aux marchés des capitaux donc à une diversité de bailleurs de
fonds aux débiteurs et aux porteurs de projets de développement.
Dans le même temps, elle scinde le groupe des PED en deux catégories :
d’un côté, les mieux placés en termes de perspectives de développement (futurs
pays émergents) qui se retrouvent avec une « simple » problématique
de financement par le marché sur lequel, d’ailleurs, ils redeviennent vite
emprunteurs nets ; de l’autre, les pays les plus pauvres qui vont rester
piégés par la dette, malgré des plans d’annulation de celle-ci notamment pour
les Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) pour lesquels Banque Mondiale et FMI
décident finalement en 1996 de ramener le stock de dette à un niveau soutenable
et de la rééchelonner.