Pourquoi ne sommes-nous pas tous scandinaves ?

L'interdépendance des capitalismes américains et scandinaves

Acemoglu, Robinson et Verdier (2012) poussent plus loin cette logique en considérant que les deux capitalismes américain et scandinave constituent deux voies complémentaires et interdépendantes de croissance soutenue grâce aux échanges internationaux, l’une fondée sur l’innovation, la flexibilité et les inégalités (cut-throat), l’autre sur la cohésion sociale (cuddly). Ils soutiennent que ces deux capitalismes polaires ne peuvent se passer l’un de l’autre et sont en fait complémentaires dans un monde de plus en plus interdépendant. Les premiers pays sont spécialisés dans l’innovation radicale car le différentiel de revenu associé aux innovations gagnantes y est supérieur à ce qu’il est pour les seconds pays, qui puisqu’ils sont plus éloignés de la frontière technologique, ont déployé des arrangements plus redistributifs et gérant le risque et la réussite de façon plus solidaire. Une convergence des premiers (cut-throat) vers les seconds (cuddly) ferait disparaître les externalités technologiques, diminuerait la croissance mondiale et l’écart économique et technologique, et diminuerait les incitations à adopter des institutions plus protectrices pour les seconds. le capitalisme mondialisé et financiarisé a donc besoin de la complémentarité entre les différents modèles.

La hiérarchie institutionnelle explique également la relative stabilité des modèles de capitalisme. Chaque modèle peut ainsi être défini par les arbitrages collectifs entre discipline fiscale, niveau d’inégalités acceptable et niveau de chômage acceptable et que les institutions correspondant aux arbitrages supérieurs sont les plus stables, les autres institutions devant s’adapter à celles-ci. Le choix du système dépend des préférences collectives, de l’histoire et des choix passés et du contexte international. Les préférences sociales définissent des hiérarchies institutionnelles, c’est-à-dire des objectifs prioritaires pour les groupes sociaux dominants, comme l’illustre bien le trilemne de Wren et Iversen (1998).

Figure 6.3.1. Le trilemne des hiérarchies institutionnelles dans les différents modèles de capitalisme (Source: Wren and Iversen, 1998)


Enfin, il existe également des mécanismes qui associent des coûts d’opportunité importants au changement institutionnel. La dépendance au sentier, c’est à dire le fait que les décisions institutionnelles prises dans le passé conditionnent (déterminent) les possibilités de choix institutionnel d’aujourd’hui,  a pour conséquence que changer de système institutionnel est coûteux. Les institutions sont des réducteurs d’incertitude à travers lesquels les individus programment leur règle de comportement par rapport aux autres dans une situation donnée, et les anticipations qu’ils peuvent faire de la façon dont les autres vont se comporter dans cette situation. Dès lors, tout changement des règles se heurte aux inerties et aux résistances des individus qui tardent ou qui renoncent à modifier leur comportement et leurs anticipations car c’est coûteux en termes d’adaptation et d’incertitude.