Du Directoire à la II° République (1795-1848) (1) : naissance de la « question sociale »
Avec le développement économique et l’industrialisation du pays, le nombre d’ouvriers va augmenter tout au long du XIX° siècle. Leurs conditions de vie misérables vont attirer l’attention et donner naissance à la « question sociale », ou « paupérisme », c’est-à-dire l’attention portée à la pauvreté – ou plutôt la misère – des ouvriers.
C’est à partir des années 1830 que l’on se rend compte de l’émergence d’une nouvelle classe sociale, celle des prolétaires. Des ouvriers employés dans les manufactures et dont les conditions de vie sont misérables. Les premières alertes viennent d’Angleterre, dont l’industrialisation a été plus précoce qu’en France, et qui fait figure de « laboratoire monstrueux de la modernité » (P. Rosanvallon). Les tâches sont exténuantes et humiliantes, les ouvriers vivent dans la misère la plus totale.
Le constat est partout le même : la libéralisation du travail, avec la suppression des corporations (Loi Le Chapelier en 1792 – cf. Section 1), a mis les travailleurs dans une situation de dépendance économique extrême vis-à-vis du système des manufactures. Ils n’ont plus aucun contrôle ni sur le salaire, qui se fixe juste au niveau de subsistance, ni sur les conditions d’embauche, et peuvent se retrouver sans travail du jour au lendemain. Le Baron d’Haussez, qui visite l’Angleterre au début des années 1830, n’hésite pas à comparer le sort des prolétaires à celui des esclaves.
En France, on réalise les premières enquêtes sociales, notamment celles d’Adolphe Blanqui, d’Eugène Buret et du Dr. Villermé. La situation matérielle des prolétaires y est décrite comme misérable, des familles entières s’entassent dans des logements insalubres. Villermé, par exemple, décrit des enfants en haillons, pieds nus, avec un simple morceau de pain à manger pour une journée de travail de 12 ou 14 heures dans les filatures de Mulhouse.
L’opinion commence à s’émouvoir de la situation des prolétaires : la modernité s’accompagne d’une régression des conditions matérielles de vie par rapport au siècle précédent. La question des inégalités économiques, considérée comme secondaire lors de la Révolution, est mise sur le devant de la scène. La « question sociale » est née.
Révélatrice de cette prise de conscience est l’évolution d’un des plus grands économistes du temps, Sismondi. Alors que son premier ouvrage, en 1803, fait un vibrant éloge de la liberté économique fidèle à l’esprit des Lumières, ses Nouveaux Principes d’Economie Politique, en 1819, relativisent sa position initiale, en raison, dit-il, des « souffrances cruelles des ouvriers des manufactures ». Et en 1837, il écrit « Si [la société moderne] crée une population indigente, incertaine de l’avenir, inquiète de son existence, mécontente de l’ordre actuel, si elle crée des prolétaires enfin, ce qu’on nomme sa prospérité est au contraire une calamité nationale ». L’enrichissement est certes souhaitable, mais s’il s’accompagne d’une misère croissante d’une partie de la population, il est moralement condamnable.
C’est à la suite de l’enquête du Dr. Villermé que sera adoptée, en 1841, la première loi sur le travail des enfants. Mais cette loi est doublement limitée :
- Dans ses dispositions, puisqu’elle limite le travail des enfants de moins de 12 ans à 8h par jour, et à 12h par jour pour les moins de 16 ans)
- Dans son application, puisque les vérifications sont confiées à des notables bénévoles, qui n’ont pas toujours intérêt à ce que la loi soit respectée. Il faudra attendre presque 30 ans, en 1868, pour que soit créé un organisme officiel d’inspection du travail.