Du Directoire à la II° République (1795-1848) (2) : le triomphe du libéralisme-conservateur
Malgré l’émergence de cette question sociale, l’intervention de l’Etat n’est pas souhaitée. L’idéologie libérale-conservatrice est au pouvoir dans les années 1830 et 1840. Ses principaux représentants, Charles Dunoyer et François Guizot, considèrent la liberté économique comme sacrée. Ils sont sur la même ligne que pendant la Révolution : chacun est égal devant la loi et a les mêmes chances au départ, donc les inégalités de situation proviennent d’inégalités naturelles de talents et d’aptitudes. Guizot l’exprime très clairement en 1821 : « Aucun artifice ne doit gêner, dans l’ordre social, le mouvement d’ascension ou de décadence des individus. (…) Les citoyens doivent être livrés à leur propre mérite, à leurs propres forces (…) C’est, en fait d’égalité, toute la pensée publique ; elle va jusque-là et pas plus loin. »
Par conséquent, pour les libéraux-conservateurs, si les ouvriers sont dans la misère, c’est de leur faute : non seulement ils manquent de talents, mais aussi de vertu. La misère est produite par les vices des prolétaires, par leur inconduite. Et les écrits de ces années font immanquablement référence à « une populace paresseuse et débauchée ».
Il y a aussi, chez les possédants, la peur d’une révolte de ces prolétaires dont le nombre va grandissant. La Révolte des Canuts, les ouvriers de la soie, à Lyon en 1831, dégénère en une véritable émeute urbaine. Elle sert de repoussoir aux possédants. Ecoutons Saint-Marc Girardin dans Le Journal des Débats après la révolte des Canuts à Lyon en 1831 : « La sédition de Lyon a révélé un grave secret, celui de la lutte intestine entre la classe qui possède et celle qui ne possède pas. Notre société commerciale et industrielle a sa plaie comme toutes les autres sociétés ; cette plaie, ce sont les ouvriers ». Et, plus loin : « Les barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de Tartarie ; ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières. »
Pour les libéraux-conservateurs, la solution n’est donc pas une intervention de l’Etat pour adoucir les conditions de vie misérables des prolétaires. Il faut plutôt leur enseigner la vertu, la tempérance, les bienfaits de l’épargne. Cette tâche est laissée à l’Eglise ou aux œuvres de bienfaisance. Charles Dunoyer ira encore plus loin : pour lui, les inégalités économiques sont indispensables, car elles agissent comme un aiguillon pour les individus méritants, qui chercheront à échapper à la misère en adoptant un comportement vertueux. Les inégalités économiques sont le moteur de la prospérité, « la source de ce qui se fait de grand et d’utile ». Elles deviennent la loi naturelle du nouveau monde économique.