La mise en place d’un capitalise mixte fortement régulé par l’Etat
Les grandes crises des années 1930 et de la 2ème guerre mondiale ont provoqué de profondes mutations du capitalisme dans les pays industrialisés. Au lendemain de la 2GM, les nécessités de la reconstruction et le souvenir du chômage de masse des années trente et de l’incapacité du marché à sortir les économies de la récession légitiment une intervention forte de l’Etat dans l’organisation et la régulation de l’économie. Le capitalisme libéral devient capitalisme régulé et coordonné par l’état. Pourtant, quel que soit le niveau d’intervention de l’Etat, les fondements du capitalisme (propriété privée, accumulation et profits, marché, salariat) restent respectés dans les pays développés. Cependant, les modalités de socialisation/étatisation des économies varient selon les pays et régions.
En France, la coordination de l’économie par l’Etat prend la forme des nationalisations dans les secteurs de l’énergie, de la finance et dans les principaux secteurs industriels dès la fin de la 2GM. En transformant le capital d’un grand nombre d’entreprises privées en propriété de l’Etat, les nationalisations représentent une rupture du principe de l’efficacité de l’appropriation privée des moyens de production qui est une caractéristique centrale du capitalisme. Cette rupture est d’abord liée à des justifications politiques (sanctions de la coopération avec les allemands pendant la 2GM comme pour Renault). Mais elle poursuit également des objectifs économiques puisqu’il faut reconstruire, et que le capitalisme n’a pas su relever économies de la crise ni les préparer à la guerre. Les nationalisations sont donc dictées par la défense de l’intérêt général : orienter l’économie française vers le rattrapage technologique des Etats-Unis créer des emplois grâce à des investissements élevés dans l’industrie financés par des banques qui prennent des risques au nom de la collectivité et qui pratiquent des taux d’intérêt bas sous le contrôle de l’Etat.
La planification incitative en France définit aussi par concertation (patronat, syndicats, fonctionnaires) de grands objectifs au service desquels sont mis les investissements publics et la fiscalité. Dans ce cadre, une politique ambitieuse de la recherche est mise en place dès 1958 sur la base d’organismes publics de recherche comme le CNRS. Les décisions collectives et centralisées sont jugées plus conformes à l’intérêt général que la somme des décisions décentralisées (la main invisible). Ici, c’est le principe de la supériorité du marché pour orienter les investissements qui est remis en question. L’Etat français est alors dit « colbertiste » (en référence à la politique volontariste de développement manufacturier de Colbert le ministre des finances de Louis XIV) puisqu’il se substitue aux défaillances de l’initiative privée. Lorsque les investissements privés reprennent de la vigueur à la fin des années soixante, l’Etat français mène une politique industrielle active de « champions » nationaux sur des secteurs jugés stratégiques. Le marché reprend alors progressivement ses droits puisque ce sont les évolutions de demande et de prix qui déterminent ces secteurs sur lesquels est porté l’effort public. La concurrence est tout de même limitée par une fermeture relative du marché national qui est privilégié.
Les nationalisations et la planification incitative sont une spécificité française. En Allemagne ou en Grande-Bretagne, les Etats seront moins interventionnistes et le marché occupera une place plus grande dans la coordination des investissements et la reconstruction. Parallèlement, les Etats de tous les pays riches mettent en place des politiques conjoncturelles et structurelles très actives. Stimulation ou restriction des dépenses publiques et modulations de la fiscalité permettent d’orienter les comportements des ménages et des entreprises et à contrer les mécanismes du marché. Les politiques keynésiennes de maintien de la production près du plein-emploi (keynésianisme pur) ou de stop en go (impur) sont menées dans tous les pays développés et stabilisent la croissance en atténuant les fluctuations et en contrôlant l’inflation.
Ce dispositif de très forte intervention de l’Etat dans le marché et le capitalisme a créé un environnement économique et social très stable et donc très favorable à l’accumulation et à la croissance régulière de la production. Mais la crise des années soixante-dix (stagflation et chômage de masse), l’épuisement des gains de productivité et de la demande standardisée et l’intensification de la contrainte extérieure (déficits extérieurs, flottement des changes) et de la concurrence mondiale remettent en cause ce modèle d’économie mixte (voir section 5.6).