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La crise de 1929 demeure une rupture majeure de l’histoire économique du XX° siècle. Le krach financier qui intervient à partir du 24 octobre 1929 révèle certains déséquilibres de l’économie américaine et déclenche une très violente crise économique. En raison de l’intensité des interdépendances internationales, l’ensemble des économies capitalistes est plongé dans la dépression.
Cette crise est aussi celle de la mondialisation car la recherche de solution nationale est associée à un repli autarcique dans les années 1930. Le new deal du Président Roosevelt ne réussit que très partiellement à casser la dynamique déflationniste.
Les running 1920s aux Etats-Unis Le climat euphorique
La croissance économique américaine est forte au cours des années 1920 portée par le dynamisme des gains de productivité dans l’industrie et le développement d’un modèle de consommation de masse.
Le secteur automobile progresse ainsi fortement : la production de véhicules passe de 569 000 en 1914 à 5 621 000 en 1929. Le taux d’équipement atteint alors le niveau élevé de un véhicule pour 4,6 habitants. Des effets d’entrainement sont à l’œuvre dans les secteurs de la sidérurgie, de la chimie, des travaux publics…. Le bâtiment connait lui aussi un fort développement en raison d’une urbanisation croissante, la construction de logement se stabilise à un niveau élevé entre 1926 et 1929. De nouvelles pratiques de consommation de masse se développe : les ménages s’équipent en biens de consommation durable (postes de radio et autres articles ménagers….).
Si entre 1921 et 1929 la production industrielle connait une hausse de 50%, l’indice des actions progresse sur la même période de près de 300%. Le mouvement haussier de 1928-1929 a un caractère largement spéculatif, il est notamment alimenté par d’importants crédits fait aux Brokers…. Depuis 1926 ces derniers ont la possibilité d’acheter des titres à crédit avec une couverture de seulement 10% du montant de l’opération. Les taux d’emprunt sont assis sur les taux court et permettent des effets de levier dans un contexte de hausse de la Bourse, l’innovation financière concoure à l’euphorie.
En décembre 1928 et mars 1929, les cours des actions chutent révélant des tensions. Loin d’alarmer les opérateurs ces chutes accréditent la thèse d’une accélération indéfinie de l’activité économique qui rendrait obsolète la notion même de cycle. Les opérateurs semblent emportés par un climat euphorique et une confiance démesurée.
En août 1929 la remontée des taux courts rend plus délicate les effets de levier. En septembre la hausse des taux d’intérêt au Royaume-Uni provoque une fuite de capitaux vers la City.
La crise financière d’octobre 1929
Le jeudi 24 octobre 1929, souvent qualifié de « jeudi noir », les cours des actifs financiers s’effondrent à la Bourse de New-York. Le matin le marché est quasi sans acheteur. A midi l’indice a perdu plus de 22%, une émeute éclate à l’extérieur du marché, des rumeurs extravagantes circulent. A 13h30 des investisseurs institutionnels emmenés par R Whitney, vice-président du NYSE interviennent pour stabiliser les cours. Après une relative accalmie le lendemain, le mouvement se poursuit le lundi 28 avec une baisse de 12,9% de l’indice de référence et le mardi 29 durant lequel il perd encore 12%. Une véritable panique s’empare du marché jusqu’en janvier 1930. Des spéculateurs et des épargnants ruinés se suicident…. Après une nette remontée des cours au premier semestre de 1930, le mouvement baissier reprend jusqu’en 1932 : l’indice du cours des actions qui culminait à 238 en 1929 n’atteint plus que 36 en 1932, soit un niveau nettement inférieur à 1921 (indice 58). Le titre General Motors chute de 1075 dollars à 40 entre 1929 et 1932, le titre US Steel de 262 à 22 dollars.
Les conséquences de cet effondrement sur l’activité économique sont difficiles à évaluer. L’effet psychologique est naturellement désastreux : la confiance est brisée les décisions d’investissement et de consommation en pâtissent. Certaines entreprises connaissent des difficultés de trésorerie et sont acculées à la faillite. La baisse des cours des actifs freine mécaniquement la demande à travers des effets de richesse. Les banques qui subissent des pertes financières et sont exposées à des menaces de retraits des déposants restreignent leurs crédits pour tenter de reconstituer leur liquidité.
Sur la crise de 1929 « The Great Crash », voir la vidéo à l’adresse suivante
/Video/youtube/watch?v=POMhTJqw1d4
L’effondrement de l’économie américaine
Les performances macro-économiques des Etats-Unis au début des années 1930 sont spectaculairement médiocres. L’économie américaine est frappée par une déflation de grande ampleur.
Selon Maddison (1981) l’indice du PIB passe de 163 en 1929 à 147,4 en 1930, 136,1 en 1931 et 115 en 1932. Comme le montre le graphique le niveau du PIB de 1929 n’est retrouvé qu’en 1939. La production industrielle connait un repli plus important encore : l’indice passe de 105 en octobre 1929 à 52 en juillet 1932.
Le taux de chômage – faible depuis le milieu des années 1920 – connait une envolée jusqu’à dépasser nettement les 20% en 1932 et 1933.
La baisse de l’activité
s’accompagne d’une baisse des prix : l’indice des prix à la consommation passe
de 165 en 1929 à 124 en 1933. Le mouvement de déflation est d’autant plus ample
que les opérateurs étaient fortement endettés.
Les interprétations de la crise
Les analyses de la crise de 1929 sont nombreuses, certaines paraissent avoir été invalidées par les faits postérieurs comme la thèse d’une stagnation séculaire du capitalisme mais beaucoup conservent une portée explicative.
L’approche marxiste analyse cet épisode comme une crise de surproduction générale imputable à une insuffisance de la demande. L’accentuation des inégalités de répartition serait à l’origine d’une sous-consommation. La stagnation des salaires réels et la diminution de la part des travailleurs dans le revenu national sont mises en avant pour étayer cette thèse. Si les travaux de Kuznets accréditent l’idée d’une hausse des inégalités dans les années 1920, l’absence d’une baisse de la propension moyenne à consommer fait défaut pour établir un lien entre inégalité et sous-consommation.
Le surinvestissement qui caractérise la toute fin des années 1920 (période du boom spéculatif aux Etats-Unis) serait d’après I. Fisher à l’origine de la crise. L’investissement aurait dépassé les capacités d’épargne. Il aurait été alimenté par un excès de crédits et un surendettement des opérateurs. Le surendettement est, par la suite, analysé comme un facteur aggravant de la déflation.
Milton Friedman et Anna Schwartz (1963) mettent en cause la responsabilité d’une politique monétaire trop restrictive des autorités du Federal Reserve System. Le resserrement monétaire de l’été 1929 aurait d’abord alimenté la spéculation (relèvement du taux d’escompte à 6% en août 1929) en provoquant un rapatriement des capitaux vers les Etats-Unis. Après la crise, et jusqu’en 1933, la Fed n’aurait pas suffisamment approvisionné le système en liquidité (via des achats de titres sur l’open market et le soutien direct aux banques en difficulté). Cette attitude trop passive aurait aggravé la contagion des faillites bancaires (près de 9000 entre 1930 et 1933).
Selon Kindleberger l’ampleur de la crise résulte d’une absence de leadership mondial : la Grande-Bretagne n’a plus les moyens de stabiliser les relations financières internationales et les Etats-Unis ne jouent pas le rôle de préteur en dernier ressort au niveau international. Au contraire, les mouvements de capitaux américains et la réaction protectionniste du gouvernement américain ont amplifié les déséquilibres. Dans le prolongement de cette vision centrée les relations internationales les contributions plus récentes de P. Temin et B. Eichengreen incriminent, elles aussi, l’absence d’un système monétaire international stable durant l’entre-deux-guerres.
Selon Minsky les événements débouchant sur une crise commencent par un « choc » assez important pour entraîner un « déplacement » du système économique, c’est-à-dire une modification des centres de profits. Les années 1920 sont marquées par un choc d’innovation (nouveau mode de vie…). Des agents initiés cherchent à déplacer leurs investissements vers le nouveau secteur. La demande de marchandises ou d’actifs financiers du secteur nouveau progresse, elle dépasse les capacités productives ou l’offre d’actifs financiers. La progression des prix révèle à un plus grand nombre d’agents les opportunités du nouveau centre de profits. Cette hausse attire de nouvelles entreprises et de nouveaux investisseurs. Le boum est alimenté par l’expansion du crédit qui joue un rôle central dans le « modèle de Minsky ». Chez H. Minsky, ce crédit est, par nature, porteur d’instabilité : le secteur monétaire et financier cherchant à maximiser ses profits n’est pas spontanément en équilibre avec le marché des biens et services.
A mesure que le secteur nouveau (épicentre de la prochaine crise) se développe, la prise de risque des investisseurs s’accroit. Minsky distingue trois comportements dans les processus de financement des agents qui investissent dans le nouveau secteur :
· Un financement dit couvert (Hedge Finance) dans lequel le rendement attendu du projet d’investissement couvre le paiement des intérêts et du principal sur un horizon limité de temps.
· Le financement dit spéculatif (Speculative Finance) où le rendement attendu couvre seulement le paiement des intérêts, la dette doit en permanence être reconduite.
· Le financement de type Ponzi (du nom de l’escroc qui fournit, dans les années 1920 aux États-Unis, un exemple d’escroquerie à la cavalerie) : le rendement attendu ne permet plus de payer les intérêts de manière régulière et pousse soit à la vente des actifs soit à un endettement supplémentaire.
Dans cette phase ascendante du cycle, l’investissement provoque des hausses de revenus qui, elles-mêmes, stimulent en retour l’investissement et poussent à une plus forte prise de risque. L’économie entre, selon H. Minsky, dans une période « d’euphorie ». Le système financier passe d’un état de stabilité dominé par le financement couvert à un état d’instabilité ou le financement spéculatif monte peu à peu en puissance. La spéculation conduit à surestimer les rendements attendus de ces investissements, les PER s’envolent (Price Earning Ratio).
Le cercle des spéculateurs s’élargit à des non-initiés qui entendent profiter du mouvement haussier sans en considérer les mécanismes. Le mouvement n’est pas collectivement rationnel même si la rationalité pousse l’individu à suivre le mouvement haussier. Dans cette période, les fraudes et les escroqueries se multiplient, attisées par un appât démesuré pour le gain. Le boum spéculatif se poursuit accompagné d’une hausse des taux d’intérêt, d’une progression de la vitesse de circulation de la monnaie et d’une envolée des prix.
Certains investisseurs avisés réaliseraient alors leur gain. Au plus haut du marché le mouvement spéculatif semble hésiter : les prix se stabilisent car les nouveaux spéculateurs ne vont que remplacer ceux qui quittent le marché ; cette phase est désignée par H. Minsky par l’expression « le paradoxe de la tranquillité » (Minsky moment). Une période de détresse financière peut dès lors s’enclencher. Les spéculateurs s’aperçoivent que le marché ne peut aller plus haut et qu’il est temps de se retirer. Les opérateurs cherchent à vendre leurs actifs. La course à la liquidité peut tourner à une véritable débâcle. Le signal de retournement peut être la faillite d’une entreprise asphyxiée par l’endettement, la révélation d’un scandale, une baisse du prix de l’actif objet de la vague de spéculation. Dès lors, un mouvement de baisse durable des prix s’enclenche.